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La civilité : soyons positif

Nous sommes agressé par les incivilités, mais plutôt que de réagir face à celles-ci, ne pouvons nous pas anticiper et soigner la paix qui les précède ?
Dans la civilité, nous retrouvons la politesse et même le savoir-vivre. C'est dire que la ville (1) et la culture en font partie. Ces notions interrogent la pratique, et non les déclarations morales : c'est plus une question d'Architecture que de Politique.
L'urbanité est le résultat d'un apprentissage tout au long de la vie, c'est le lent et patient travail de l'amélioration, avec la place des femmes et leur rôle essentiel (2). L’invention du commun est parallèle à celle du particulier : dans nos familles, un âge de l’enfance découvre la propriété, qui sera intégrée par le père : ce sera la propreté, la patrie et le patrimoine. Seul le père est assez étranger à l’enfant pour imposer cette distance. Nous sommes tolérants avec les enfants qui doivent apprendre. C'est le poli de la vie en société.

La politesse et la propreté sont du domaine de l'évidence. Elles ne peuvent être totalement expliquées, être transparentes. Elles supposent une cohérence personnelle et une cohésion sociale, en même temps qu'une tolérance et que le respect de l'altérité. La discipline personnelle se forge face à des obligations. L'individu ne devient une personne que parce qu'il a des devoirs. Les civilisations se distinguent dans leur conception de ce lien entre la personne et la communauté. L’homme n’est homme que parce qu’il vit en société. Malgré la libération des contraintes naturelles, l'homme est un animal social et le restera. Les doctrines contraires n'ont pas de sens. L'éducation nous raccorde au réel.

Pour ces questions, le critère du goût est décisif. Il n'y a pas d'objectivité, mais une culture en mouvement. L'éducation et son partage sont donc primordiaux.
Le rejet de l'éducation annonce le rejet de ces règles communes. Le culte du "bad boy", l'admiration pour la transgression (et sa difficulté) ont remplacé le respect des Académies, qui avait trop montré sa pesanteur.
Il ne suffit pas de s'appuyer sur les essais d'objectivation de Kant ou des hygiénistes. L'objectivité dans ce cas manque de solidité, et montre la faiblesse de ceux qui se cachent derrière elle. La civilité suit les variations de l'opinion publique.

Ainsi l'aristocratie européenne doit digérer l'art moderne.
Depuis 14-18, nous sommes sous l'influence américaine, qui nous impose son rattrapage culturel. Nous avons oublié une partie de notre patrimoine et nous nous trouvons parfois devant notre histoire comme devant celle d'un peuple inconnu.
La civilisation américaine honore les pillards, et sa brutalité n'est pas originale, mais son évolution remet en cause les notions de décence commune. Peu urbaine, elle méconnaît le poli de la vie en société.
La politesse n'est pas le refus de la violence. Institutionnalisation des rapports de force, elle ne refuse pas l'agressivité, mais la rend sociale. Face à la sauvagerie, elle demande une force, qu'elle valorise en retour. La politesse (3) n'est que le début de la diplomatie ; et nous évoluons aussi avec d'autres influences : le Maghreb, l'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse, l'Europe en général.

Parce que les états ont abusé de la force contre la cohésion populaire, ils ont perverti cette cohésion. L'urbanisme a affaibli l'urbanité.
La dérive du libéralisme a ruiné notre faculté de distinguer : elle a promu un nihilisme officiel. Ce faisant, elle s'est attaqué à la civilité, qui demande des limites. Depuis Mallarmé, nous nous suicidons. Est ce terminé ?

La patience, l'entretien, l'investissement à long terme sont à la base de ce que l'on nomme la résilience.
La politesse, la propreté, se comprennent comme des possibilités d'accueil, une hospitalité. C'est la tolérance d'admettre la différence, de relativiser sa subjectivité et ses croyances.
On peut bien sûr ramener leurs manques à l'égoïsme et sa toxicité. Le confort qui ne s'occupe pas du commun, qui laisse des spécialistes le faire à notre place refuse simplement de voir la vie.
(L'exemple suisse montre l'intérêt du contrôle public.)

L'impératif de chaque culture, cette hospitalité, disparaît parfois, et ceux qui pensent les rapports entre civilisations en terme de guerre montrent la dégénérescence de la leur. S'il y a plusieurs civilités, elle convergent en une seule parce qu'il s'agit de faire partie d'une même communauté, et non pas de communautés séparées.

L'usage intensif de la notion d'intérêt général a dévalué celui-ci.
La mixité sociale est un bel objectif, mais qui ne se décrète pas. Son antithèse, le communautarisme, prospère sur la fuite de ceux qui le peuvent. C'est cette fuite qu'il faut prendre en compte. Il faut encourager le fait de prendre racine. La mixité est plus réalisée par exmple par le fait de devenir propriétaire que par le logement social. Elle pourrait l'être par le décloisonnement des zones monofonctionnelles : villes balnéaires, zones d'activité ... Il faut partir de ce qui marche et l'améliorer en soignant ce qui ne marche pas ; après, filtrer les nouveaux arrivants et rendre la politesse obligatoire.

L'époque de la croissance a encore des leçons à nous donner, même si c'est pour la terminer proprement. Il faut penser à compléter son programme. Il y a trop de court terme dans les politiques suivies. Quand une période se clôt, il faut un soin particulier. On a vu avec la décolonisation les erreurs de l'empressement. La guerre d'Algérie par exemple n'aurait jamais du se terminer comme elle l'a été. Les conflits inachevés se perpétuent sous d'autres formes.

C'est cette communauté civile qui est également menacée par l'influence anglo-saxonne d'une société cloisonnée.

Les livres scolaires d'histoire racontent un roman, national ou non, mais non le récit argumenté. Il en ressort une incompréhension prête à toutes les illusions et c'est bien visible dans les mystifications comme autrefois le communisme ou le gaullisme et maintenant l'essentialisme. L'analyse des facteurs à l'oeuvre manque : y a-t-il une histoire officielle ? En faut-il une et peut-on s'en passer ?


(1) Les différentes politesses se conjuguent par leur nature même. La politesse, comme l’urbanité, marque par leur étymologie leurs liens avec la ville, mais leur réalisation s’étend à l’ensemble de la société et la "ruralité" ne s’y oppose pas, alors qu'une densité trop forte peut, elle, lui nuire. Ces mots : civilité, politesse, urbanité tirent leur origine de la Cité, la communauté indépendante des Maisons familiales, qui a succédé aux grands empires, qui n’étaient que de vastes Maisons. La Cité est malade de la Nation, la communauté supérieure, basée sur un parti. A la Cité correspond le citoyen et la ville, tandis qu’à la Nation correspond l’état et le pays (revanche du paysan).


(2) La ville du piéton, avec sa lenteur, ses rencontres et de sa courtoisie concentre ce côté Yin. Il y a une lente amélioration banale et individuelle de la société par la femme : soins et aménagements familiaux, sélection des meilleurs. Ce travail typiquement féminin trouve sa négation et sa destruction avec la guerre.


(3) "La politesse fournit la voie d'accès aux réalisations morales. Petite porte d'un grand château, elle conduit directement à l'autre. Que dit-elle ? Elle affirme à l'autre qu'on l'a vu. Donc qu'il est. Tenir une porte, pratiquer le rituel des formules, perpétrer la logique des bonnes manières, savoir remercier, accueillir, donner, tenir pour une gaîté nécessaire dans la communauté minimale – deux... -, voilà comment faire de l'éthique, créer de la morale, incarner des valeurs. Le savoir-vivre comme savoir être." Michel Onfray