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Pour une épistémologie de l'histoire

Le débat entre le roman et le récit national permet de mettre en évidence notre point de vue : pour les uns, l'histoire est l'écriture d'un passé fondateur, qui met en lumière les faits symboliques d'une époque. Pour les autres, il s'agit de faire ressortir les faits polémiques (1) qui ont fait basculer celle-ci. C'est bien sûr dans cette optique que nous travaillons. Loin de créer la fiction d'une ou de plusieurs civilisations fixes, nous voulons faire apparaître l'enchaînement des circonstances qui les font évoluer.
Si le roman national fait appel à l'irrationnel, il peut y avoir un roman du progrès, mais qui reste un roman. Il y a l'histoire racontée, et l'histoire en formation, fouillis contradictoire.

Par exemple sur la capitulation de 1940, la plupart des historiens retiennent le discours de De Gaulle à la radio le 18 juin, alors que ce discours n'a quasiment pas été entendu et n'a pas eu d'effet direct. Il vaudrait mieux noter la date du 17 juin, date à laquelle Churchill, à Bordeaux, le persuade de continuer la lutte depuis Londres (2). Dans l'optique que nous prenons, l'histoire n'est donc pas une scène morale. D'ailleurs, la morale est toujours située, alors que l'histoire est un décor en perpétuel changement. Notre arme, et notre drapeau, est la vérité : vérité des faits et vérité de leurs conséquences (3). Bien sûr, on ne peut complètement décrire aucun événement, et nous restons sur des versions inachevées. Il faut combiner les différents points de vue. Mais cela n'empêche pas d'avancer, et nous sommes demandeur de toute nouvelle information.
Ce n'est pas parce que la causalité historique est toujours douteuse qu'elle n'existe pas (4). Simplement, l'historien ne peut qu'être critique.
Il n'y a histoire que lorsque l'historien construit le lien entre les événements. C'est la différence entre Tacite et Suétone, bien que Suétone lui-même ne consigne que les faits qui l'intéresse. La critique du récit historique s'inscrit dans le présent permanent de la Société du Spectacle. Le "story-telling", parce qu'il est toujours sa propre fin, qu'il soit positiviste ou déconstructeur, nie la véritable histoire et transfigure le tragique en drame. Le tragique est toujours trop injuste pour le spectateur.
L'histoire ne doit pas être confondue avec les "mémoires" ; elle doit s'échapper du subjectivisme. Si elle s'attache au destin des acteurs mineurs, c'est pour préciser leur rôle, justement mineur. Les "identités" sont pour elle un outil, non une fin. Si l'historien doit s'extraire des préjugés de l'époque qu'il décrit, il doit aussi en présenter une vision synthétique, c'est-à-dire éclairée par les conditions et les consciences de cette époque et non avec le regard du présent, qu'il s'agit de dépayser et non de confirmer (5).

L'histoire est d'abord le culte de la vérité et du témoignage. C'est donc l'ennemi des régimes dictatoriaux. La politique veut faire l'histoire, mais c'est celle à venir. La politique ou la religion ne sont pas légitimes à juger d'un point d'histoire.
Cette discipline permet de mieux comprendre le présent à la lumière du passé. C'est pourquoi elle est parfois l'enjeu de forces actuelles, politiques ou militantes, qui veulent s'en servir. Leur erreur est de voir le passé à la lumière du présent. Le présent est toujours nouveau. L'histoire montre la complexité et l'interaction des agents, non leur permanence.

C'est la communauté, nationale ou non, qui a besoin de l'histoire comme narration, comme mouvement d'actualisation de son identité.
Le roman national participe du mythe nécessaire à la structure, mais permet par sa critique la critique de celle-ci. S'il supporte des fables xénophobes ou multiculturelles, il a paradoxalement favorisé les recherches critiques. Si les mythes sont utiles, les dogmes interpellent.
A l'envers, un roman anti-national, qui verrait l'histoire d'un peuple comme une extériorité nierait tout sens à l'action de celui-ci, sans plus de relativité.
Le roman est nécessaire au récit, dans le sens où il structure, oriente et élève celui-ci. Décrire, c'est déjà donner un sens : ce récit renseigne la société, qui sans cela manque de raison. Simplement, ce roman ne devrait pas être mis au service d'une cause. La divulgation de l'histoire, son enseignement, sont secondaires par rapport à sa recherche et doivent le rester : un professeur d'histoire n'est pas un historien. Cet enseignement n'est pas un apprentissage. Il n'enseigne que la relativité des faits et certainement pas leur prévision.
Bien sûr, le roman distribue les rôles, ce qui demande une distance d'avec le présent, distance qui est justement un des apports essentiels de la discipline.

La raison de l'histoire (6) est semblable à la distance d'avec les accidents que prend le politique.
Savoir qu'un fait historique est indiscutable, ne serait-ce que parce que le passé ne peut plus être modifié, relativise les volontés de domination et de mensonge. Evidemment, cela soulève des réactions et l'histoire doit être défendue.
Un de ses intérêt, si ce n'est le principal, est d'avancer vers la vérité du présent.

L'histoire est une science aussi en cela qu'elle n'établit pas de vérités, mais dissipe les erreurs. Par rapport aux autres "sciences sociales", elle est un modèle épistémologique en ce que ses descriptions sont condamnées à la modestie par n'importe quelle trace du passé.

On voit avec les questions de l'esclavage et de la colonisation la difficulté de présenter à l'opinion les faits historiques. C'était déjà le cas avec la période de l'Etat français (1940). L'histoire souffre si elle est accaparée par des militants qui ne cherchent que la confirmation de leurs idées.
"l'ennemi de la véritable histoire : la manie du jugement" Marc Bloch, Apologie pour l'Histoire, p.21

Nous devons distinguer l'histoire récente, avec ses témoignages, l'histoire ancienne, avec ses recherches et l'usage de l'histoire dans le développement de la culture.

La connaissance du passé, malgré tout ce qu'on peut dire par ailleurs, est la seule que nous ayons. Non seulement le futur n'est pas écrit, mais le présent lui même ne se découvre que dans la pratique, subjectivement. C'est là que la mémoire des changements est utile. On pense connaître le passé, alors qu'on le recompose ; on anticipe un futur qui sera certainement différent. L'historien doit à être à la fois modeste et ambitieux ; il a un pied dans le passé, l'autre dans le présent.
Il est essentiel de ne pas trop se tromper sur le présent. La présence au monde n'est pas donnée : elle se construit et demande une certaine force.

L'histoire, parce qu'elle rend possible l'analyse d'une action, y participe même par ses classifications. Ainsi, dans la "transition" actuelle, on distingue les pré-modernes, avec leurs racines et coutumes, les modernes, encore à démonter les précédents et les post-modernes, qui essayent de retrouver un équilibre perdu. Et même les post-modernes, comme attitude cernée, appartiennent parfois au passé. Le relativisme par exemple est clairement une régression.

On sépare l'histoire faite de celle racontée : chaque camp a son histoire. De là la tendance post-moderne à privilégier l'interprétation sur le fait, tendance qui correspond à l'idéologie structuraliste. Pourtant, la vérité existe, même si elle évolue selon les connaissances. "Je ne sais pas qui est responsable du déclenchement de la guerre de 14-18, mais je sais que ce n'est pas la Belgique qui a envahi l'Allemagne" Georges Clemenceau
Les structuralistes, à la suite de Claude Lévi-Strauss, ont établi le modèle du "sauvage", dont les civilisations quasi-cycliques ignorent l'histoire. C'est que l'histoire ne débute que tardivement pour les hommes : environ les 10 milles dernières années, ce qui représente une très faible partie de leur présence.

Il n'y a pas de loi de l'histoire.(7) L’histoire est une compétition de puissances.
On a beaucoup glosé sur les leçons de l'histoire, comme sur son sens. En fait, il n'y a pas de redoublement. "L'histoire ne repasse pas les plats" Marx.
Il est curieux de voir les marxistes réinventer le roman historique dans leur volonté d'extraire un déterminisme historique. La critique en a été faite par Karl Popper : "Aucune éventualité concevable ne peut être exclue sous prétexte qu'elle serait contraire à la tendance au progrès ou à toute autre prétendue loi de la nature humaine."
Il y a cependant des leçons dans l'histoire que l'on fait : l'expérience et sa transmission.
Mais il y a aussi un entraînement par l'histoire que l'on écrit, qui fait malheureusement son instrumentalisation.

Quiconque voit l'histoire comme une somme de possibilités avec lesquelles il entend s'illustrer est naturellement amené à considérer les événements non pas comme des accidents isolés mais comme causes et conséquences les uns des autres dans un déterminisme souvent nommé à tort historique, qu'il lui faut découvrir. La publicité de ce déterminisme est à la mesure de la générosité de celui qui la fait. L'histoire ne se ramène à ce déterminisme qu'autant qu'elle est passée et prisonnière du passé. Le présent porte l'opposition entre ces déterminismes et les diverses volontés, qui seules font vraiment l'histoire. On ne peut parler que de déterminismes préhistoriques.

La personnalisation de l'histoire est la reconnaissance de la responsabilité humaine. Opposée au fatalisme, elle est nécessaire à sa compréhension. L'historien est bien sûr partial, mais le moins possible. Cette notion, "le moins possible" est importante à comprendre si l'on tient compte de la nécessaire modestie de celui qui reconstitue le passé. S'il lui donne un sens, c'est entièrement pour le spectateur, pour lequel il nettoie les éléments non significatifs, ce qu'il doit documenter. L'orientation, c'est l'élévation et l'émancipation du lecteur. L'historien doit faire preuve d'honnêteté intellectuelle. La tentation de l'historien de prendre quelques libertés avec les faits pour rendre une profonde "vérité" est à condamner fermement. C'est le parti de l'historien qui est douteux. Il faut admettre que l'histoire n'est ni morale ni simple. Faire comprendre quelques unes des contradictions d'une situation, voilà déjà une noble tâche.
L'aléatoire a son importance, mais, comme la religion, son influence n'a pas à être prise en compte dans le calcul d'un acteur, si ce n'est comme le risque statistique de l'erreur ou de la bêtise.
Le maintien dans un flux régulier est déjà en soi une question.

Les échecs, les ratés de l'histoire sont innombrables. L'histoire humaine est le cimetières des bonnes idées. "L'histoire est le domaine du risque, rien n'y est pur" JL Moinet.

Si l'histoire est transmission, elle voisine avec la destruction :
Les états généraux de 1789 devenus assemblée nationale s'installent à l'Hôtel des Menus Plaisirs de Versailles (depuis démoli), puis à Paris au Palais de l'Archevêché de Paris (depuis démoli), puis au Manège adjacent au Palais des Tuileries (depuis démoli). Là sera également l'Assemblée constituante, l'assemblée législative et la Convention. Celle-ci quitte le Manège pour le Palais des Tuileries (depuis démoli). Le Conseil des Anciens déménagera au Château de Saint Cloud (depuis démoli) ... Pas de chance ?
La sauvegarde du Patrimoine, les célébrations et autres statues sont sensés être au dessus des querelles ...

L'histoire peut être ramenée à la relation entre ce que les Indiens appellent "Maya", c'est à dire l'idée que nous nous faisons de la réalité et celle-ci, et les péripéties à travers le temps de cette relation. Quand Maya s'éloigne trop du réel, un accident nous y ramène, et la mémoire de ces accidents dépend de la santé des civilisations.
Malgré son objectivité impossible et sa prétention idéaliste à s'extraire du temps, l'histoire est nécessaire pour donner un sens à l'aventure humaine. Parce qu'il est visible que celle-ci n'est pas statique, ni répétitive, elle soulève une curiosité qui rend intelligent.
L'histoire est une recherche : elle s'améliore souvent. Elle recherche les liens du temps. Son critère nécessaire : son honnêteté, c'est à dire sa soumission à la vérité et à sa recherche.
Plus que la sociologie, l'histoire peut s'appuyer sur un rapport à l'objectivité.

L'histoire écrite est bien sûr différente de celle vécue. Si celle-ci est toujours subjective, celle-là peut prétendre à l'objectivité, mais outre qu'elle est celle du survivant, elle est toujours centrée. Ensuite, de Thucydide à César, il y a une propagande, un art de l'éloignement, plus ou moins honnête, avec la mise en scène des forces en présence et de leurs raisons. Il s'agit enfin d'éviter toute moralisation, toujours hors sujet. Ainsi, l'histoire des vaincus doit être jugée sur son apport, sans concession sur le misérabilisme. On ne doit pas suivre Schopenhauer : la pitié n'a rien à faire ici.

Qui est "révisionniste" ? Tout historien est nécessairement révisionniste dirait un naïf. Peut-être, mais à condition de s'entendre sur les mots : n'est pas historien qui veut. Se défaire des préjugés n'est pas donné à tout le monde. Dans une société où l'argent est dieu, où sont chantées les louanges de la société spectaculaire-marchande tout en affichant une posture radicale, les historiens doivent répondre de la vérité de leurs assertions. On peut proposer une contradiction aux faits établis, mais il faut qu'elle soit documentée.
L'histoire est un narratif explicatif. Pour cela, elle a besoin d'un point de vue : seule la vérification des faits est scientifique. L'histoire politique n'est qu'une partie de celle-ci.

Il faut donc aussi rétablir la vérité voilée par les calomnies politiques d'auteurs au mieux mal informés : NON, l'Otan n'a pas contraint la Russie à attaquer l'Ukraine ; NON, le référendum de 2005 n'était pas un vote contre l'Europe ; NON, mai 68 n'a pas été créé par un complot américain ; NON, l'Union européenne n'a jamais eu pour but de supprimer les nations ; NON, le plan Marshall n'était pas une colonisation de l'Europe ; NON, Jean Monnet n'était ni un agent américain, ni un banquier blanchisseur de l'argent nazi ; NON, Robert Schuman n'a pas participé au gouvernement de Pétain ; NON, celui-ci n'a été installé par les nazis ; NON, il n'a jamais manifesté de volonté d'exterminer les juifs ; NON, les juifs n'ont pas attaqué Hitler, et ainsi de suite : on ne pourra jamais faire cesser les fausses idées, mais il ne faut pas pour autant les laisser libres. Nous nous tromperions si nous pensions que la vérité est naturellement partagée par la plupart des gens. Il n'est que de penser à Holodomor, ou au massacre des Arméniens pour nous rendre compte qu'il y a parfois une histoire "officielle" qui s'impose.

On recherchera plus tard une chronique du début de l'anthropocène et de l'apogée du Spectacle, avec ses humeurs, ses ambitions et ses échecs. On pourra l'appeler la civilisation du progrès.
On a fait à notre époque l'idéologie d'une histoire tendue vers le progrès. On pourrait tout autant la décrire comme une perpétuelle réaction : contre les gaulois, contre les romains, contre les invasions, contre la rationalité, contre la religion, contre le centralisme, contre la machine, contre la république, contre les notables, contre l'Amérique, contre le progrès, contre le socialisme ... Le négatif est le moteur du changement.

Mythe du progrès : Il y aurait d'abord eu la tyrannie, puis la loi et la république, puis la révolution et la démocratie. A peu près en même temps, la raison s'est affranchie de la tradition et a permis l'industrie. L'abondance marchande rendrait possible l'état providence, la victoire sur la douleur, une complète liberté individuelle. Et ce mouvement serait celui de l'Histoire, qui amène "naturellement" la fin des religions, la limitation des naissances, les soins écologiques ... Mais en fait, non.
Il semble que la guerre a été inventé en même temps que les grands empires : l'organisation sociale a permis à une petite minorité de vivre du travail de nombreux esclaves. Mais ce ne sont pas ceux-ci qui firent les guerres, ce qui prouve que celles-ci ont été désirées. Une nation, avec son état, représente une force de cohésion, ou non. Et dans ce dernier cas, elle se survit, mais pas forcément longtemps. On peut se demander si les démocraties modernes sont vraiment le résultat de volontés ou simplement d'un concours de circonstances. La prépondérance de l'aristocratie, la prise en compte de l'opinion publique, l'existence de droits civil sont des contingences débitrices de la faiblesse des rois de France et d'Angleterre, comme de l'usure des religions.

Le 19è siècle souffre d'une véritable fascination pour l'argent : tout y est ramené et la calcul des prix y semble le dernier ressort de l'humanité. Le 19è et le 20è siècle auront vu la victoire de la machine, de l'artificiel sur l'humain.
Au XXème siècle, l'histoire que l'on vit n'est pas celle que l'on écrit, et on sait que ce sont les vainqueurs qui l'écrivent. Pourtant, si on doit leur reconnaître la primauté, il faut exhumer ce qu'ils ont voulu cacher. En effet, l'histoire (que l'on vit) est une lutte entre différentes tendances et on pourrait penser que c'est la plus forte qui l'emporte. C'était la thèse de Hegel et de ses successeurs : Lenine ou Hitler.
Cependant, la multiplicité des facteurs et leur contingences (la présence de l'homme nécessaire ou non par exemple) fait qu'il s'agit parfois d'une victoire par défaut. Et dans ce cas, le survivant va plutôt masquer les accidents du conflit. C'est pourquoi l'histoire (que l'on écrit) a besoin d'une indépendance qu'autrefois ce qui s'appelle toujours l'université mais qui a changé de nature lui apportait. La nouvelle université, c'est à dire internet, a depuis remis dans le public les sources et, comme dans l'actualité, garanti pour un temps cette possibilité. Mais en même temps, s'est accru le scepticisme sur celles-ci.
Ainsi donc, nous allons apporter ici quelques éclairages sur des périodes méconnues, justement parce qu'elles semblent trop connues. Le XXème siècle a continué l'histoire du progrès commencée au XIXième, et s'achève avec elle.

Quelques jalons :

Les totalitarismes : le Nazisme ou le Communisme auraient-ils pu gagner ? Sans doute. Ont-ils réellement gagné ? Non, mais ils ont obligé leurs ennemis à intégrer leurs outils ...
Le premier a fait la preuve de son efficacité en temps de paix et aurait bien pu durer s'il n'avait pas été belliciste. Le second s'est effondré par sa concurrence avec des Etats Unis chanceux.

L'escroquerie De Gaulle : l'actualité du non-contemporain ou comment ce qui est éloigné gagne, lorsqu'il est représenté, une aura d'impermanence. Quitte à tordre la vérité pour la faire apparaître comme on la voudrait, De Gaulle est maintenant présenté comme un démocrate visionnaire, ce qu'il n'a jamais confirmé.

L'histoire sociale de l'URSS : les revolvers des contremaîtres, puis la disparition des passeports intérieurs (livrets ouvriers), les techniciens favorisés ("les soviets plus l'électricité"), l'esclavage du plus grand nombre ...

L'enseignement de l'histoire donne l'envie de la faire. L'action de la volonté est plus décisive que les marxistes l'ont pensé. Dans l'histoire humaine, il semble qu'il y ait trois facteurs actifs : la force d'abord, c'est-à-dire la puissance et son action, le Spectacle ensuite, la publicité et l'opinion, la rémanence enfin, la résilience, le facteur de rééquilibrage du vivant (bien attaqué par les deux autres). L'histoire est la porte de sortie du présent permanent.
Pour le romancier Alexandre Dumas : « Il est permis de violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants » mais l'historien n'est pas d'accord. Si l'histoire a un intérêt, ce n'est pas de divertir, mais d'enseigner, ce qui n'est pas la même chose. Trop de rois américains, de colons stupides, de nobles prétentieux. Trop de pauvres généreux et de braves esclaves. Il y en a eu mais ce n'était pas une norme. L'histoire n'est pas normative ; elle ne peut se comprendre que par un dépaysement complet : une époque est un référent global, et ne peut être compris dans une autre, mais seulement expliqué. Le Spectacle ne peut y trouver son compte que dans sa partie extérieure.

Un modèle inégalé : l'étrange défaite.


(1) En science, un fait polémique est une constatation qui remet en cause une théorie.

(2) La différence, c'est qu'au lieu du héros gaulliste, on place le général séditieux.

(3) «La quête de la vérité doit demeurer l’objectif de tout travail historique. Elle est une marque de respect autant envers les générations passées qu’envers celles à venir» (Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, Upblisher, p.98).

(4) Pour Karl Popper (La société ouverte et ses ennemis), l'histoire n'a pas de sens. Un peuple majeur doit trouver son sens en lui-même. Belle idée, qui ne résiste pas à la pratique : la société humaine est et restera hétérogène et elle a besoin d'une force capable de s'opposer aux coagulations extérieures. Elle doit donc s'adosser à une idéologie. Sa maturité consiste dans sa capacité à être critique par rapport à celle-ci.
Les deux ouvrages ouvertement politiques de Karl Popper sont "Misère de l'historicisme" et "La Société ouverte et ses ennemis", écrits tous les deux au titre d'effort de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont pour point focal la critique de l'historicisme et des théories politiques qui en découlent. L'historicisme est l'idéologie qui croit en un déterminisme historique.
Dans la préface à l'édition française (Plon, 1955) de Misère de l'historicisme, Karl Popper explique : «Qu'il me suffise de dire que j'entends par historicisme une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la prédiction historique leur principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les "rythmes" ou les "motifs" (patterns), les "lois", ou les "tendances générales" qui sous-tendent les développements historiques.»
Le nœud de son argumentation est la preuve strictement logique qu'il est impossible de déterminer le futur, Popper s'étant attaché à défendre l'indéterminisme. Partant du fait que toutes les théories s'appuyant sur une prophétie ou sur un prétendu cours de l'histoire sont invalides, il critique ainsi particulièrement le marxisme qui ramène toute l'histoire connue à la lutte des classes, ce qui n'est qu'une interprétation féconde parmi d'autres, et surtout prétend prédire la chute du capitalisme et la venue nécessaire du communisme via la dictature du prolétariat. L'ouvrage est dédié "À la mémoire des innombrables hommes, femmes et enfants de toutes les convictions, nations ou races, qui furent victimes de la foi communiste ou fasciste en des Lois Inexorables du Destin de l’Histoire."
Ce qui devait initialement constituer des notes de Misère de l'historicisme prend petit à petit de la consistance et devient La Société ouverte et ses ennemis. Dans cet ouvrage, Karl Popper tente de montrer comment ce qu'il appelle l'historicisme a conduit aux totalitarismes. Plus particulièrement, il s'attache à critiquer trois philosophes reconnus : Platon, Hegel et Karl Marx. Il leur reproche l'erreur fondamentale de mettre en place des systèmes philosophiques historicistes, centrés sur une loi "naturelle" d'évolution du monde : la décadence des choses réelles chez Platon, le développement de l'Esprit chez Hegel et la lutte des classes conduisant à la société sans classes chez Marx.
Au système historiciste, Popper oppose une philosophie essentiellement fondée sur l'indéterminisme. Cette conception suit celle de son épistémologie, selon laquelle la connaissance progresse par essai et erreur : pour résoudre un problème donné (le problème est toujours premier), on propose plusieurs hypothèses/solutions qu'il s'agit de tester et on élimine celles qui aboutissent à une erreur. Popper tire de cette conception une position politique et idéologique : comme il est impossible de prédire le cours de l'histoire, il faut progresser petit à petit par essai/erreur, d'où une conception "fragmentaire" des sciences sociales (piecemeal social engineering) dans laquelle rien n'est joué d'avance. Au lieu de prévoir un plan d'ensemble pour réorganiser la société, il s'agit, au contraire, de procéder par petites touches, afin de pouvoir comprendre l'effet de telle ou telle mesure, et d'en corriger les inévitables conséquences inattendues.
Popper reste toutefois ambigu sur ce point car il reste "progressiste" au sens où il témoigne d'une foi dans le progrès des sciences. Il pense que les théories successives progressent vers une approximation de plus en plus fine du réel, ce qui a pu provoquer l'accusation absurde de positivisme à son encontre.

(5) "Le discours, c'est une humeur, c'est une opinion, c'est ce qui prime aussi dans la conversation. On dit "je", on assume une subjectivité, il n'y a aucun problème. Le récit c'est autre chose. Par nature, le récit exige d'objectiver un peu les événements dont on parle. Et c'est d'ailleurs pourquoi le récit ne va pas de soi. Il interrompt les conversations, il crée un moment particulier où on raconte les faits, l'enchaînement des événements, il exige du temps et de l'attention" (Gérard Genette)
"L'information moderne est née en donnant la priorité aux récits sur les discours. Ça s'est passé aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Ça a gagné toute l'information démocratique moderne. Ça prétendait, et c'est exact, rassembler bien plus de monde que des discours où des subjectivités assumées sont peut-être par nature, clivantes. Je pense que le récit, et notamment journalistique, est gravement en crise, et les gens s'informent à travers les humeurs et les opinions des uns et des autres bien plus qu'à travers des récits factuels. La place du récit rapetisse." (Géraldine Muhlmann)

(6) La Raison dans l'histoire est le titre d'un livre célèbre de Hegel, qui prétend au déterminisme historique. Nous aurions le devoir de réaliser ce déterminisme : "L'histoire universelle est le progrès de la conscience de la liberté - progrès que nous avons à connaître dans sa nécessité" (Leçons sur la philosophie de l'histoire). Cette thèse a été rapidement démentie : l'histoire n'est pas le tribunal du monde. Quelle rationalité y aurait-il eu derrière les deux guerres mondiales ? Rendre l'histoire morale est la tache, perpétuellement à reprendre, de l'humanité. Et s'il n'y a pas de sens à l'histoire, il n'y a pas non plus de retour en arrière.

(7) Burleight Taylor Wilkins critique les arguments de Popper dans "Has History Any Meaning" et montre qu'il peut y avoir un sens ponctuel à une histoire, et que c'est l'historien (ou l'acteur) qui l'apporte. Ainsi, l'histoire est un champ de l'action, et celle-ci se passe aussi sur le plan de l'intention.