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Comment va le monde

Nous n'avons pas vocation à tenir un journal d'actualité. Nous réagissons ici sur des thèmes qui apparaissent et nous semblent devoir durer.

Parfois l'actualité dépasse les stratégies. Depuis quelques siècles, l'occident se pense en révolution ou en crise. Tout y est changement, et résistance à ce changement. Il semble qu'au delà d'une simple "transition", il s'agisse maintenant d'un basculement.

Pour comprendre la révolution qui vient, il faut voir certains événements.
L'air du temps, le Zeitgeist, est morose.
Quand ce n'est pas de catastrophe ou d'effondrement, chacun parle de déclin : de la France, de la Civilisation, de la Culture, voire de l'humanité.
Un subjectivisme fleur bleue rêve au XIXè siècle.
Mais bien sûr, c'est un XIXè rêvé ...

Que vante la rumeur publique : des produits sans sucre, sans colorant, sans conservateur, sans huile de palme, sans gluten, sans nitrite, sans glucose, sans glucide, sans glutamate, sans sel d'aluminium, sans paraben, sans alcool, sans graisse animale, sans arôme, sans édulcorant, sans additif, sans pesticide, sans OGM, des contrats sans connaissances personnelles, sans exploitation des enfants, sans souffrance animale, des CV sans relation, sans photo, sans adresse ... et on s'étonne que les français soient si négatifs ?

Tout le monde reconnaît le déclin (relatif) de notre modèle, l'empire américain
"Pourquoi les américains ont-ils autant besoin de travailler" titrait en janvier 2016 The Atlantic. On note la diminution du niveau de vie de la classe moyenne : en 1930, on travaille 50h par semaine, puis 39h en 1970, quand le salaire passe de 12,27$ à 21,23$ l'heure mais en 2013, il est retombé à 20,13$ et le temps de travail a augmenté de 11h par semaine par rapport à 1979. Il semble que les américains soient obligés de travailler plus pour maintenir simplement leur niveau de revenu.
La classe moyenne américaine gagne moins maintenant que celle des autres pays développés. Ce qui est nouveau et participe du questionnement culturel du pays. Plus qu'une régression, l'élection de Trump a été l'expression d'un éclatement social.
Le mode de vie américain ne fait plus rêver, et le doute de l'Occident se répand dans le monde entier. Mauvaise nouvelle pour nous autres européens, qui nous sommes américanisés à en oublier notre culture.

L'immensité de la dette américaine est gagée sur la croyance dans le dollar. Cet auto-référencement est la force décisive des U.S.A. Sa mise en cause prévient un effondrement du système économique.
Même s'ils restent la principale puissance militaire du monde, les U.S.A. ne sont plus si attractifs, et leur dette devient critique quand les échanges mondiaux sont chaotiques. Le néo-libéralisme n'est qu'une caricature du libéralisme, un abandon du développement de la personne pour la simple défense du marché.
Ces faiblesses ont donné à quelques roitelets la prétention de remplacer la référence américaine, mais ce dépassement ne se fera que si le prétendant peut apporter mieux aux relations internationales, ce qui n'est pas au pouvoir de Poutine, par exemple.

Autre fait : La croissance de l'obésité correspond à un manque d'activité.
L'espérance de vie stagne, voire diminue (en France, pour l'année 2015 : hommes de 79,2 à 78,9 ans et femmes 85,4 à 85 ans) et encore plus l'espérance de vie en bonne santé.
Il y a sans doute un lien entre la précarisation de l'emploi et l'indécision des gouvernants. Il est de plus en plus fréquent qu'un choix stratégique soit éludé, repoussé, avoué puis contredit, pour être enfin fixé en urgence, en demandant aux exécutants d'être prêts et rapides. La confusion des critères, l'influence du Spectacle, la faiblesse (intellectuelle entre autres) des décideurs explique sans doute en partie cela. Qu'on ne s'étonne pas si les entreprises qui doivent répondre à des sollicitations financières, mais aussi administratives, de plus en plus brutales ne veulent plus s'engager sur le long terme.
On peut s'inquiéter de la formation des jeunes, entre l'éducation nationale et les écrans. La massification et la démagogie qui datent maintenant de 45 ans ont produit leurs effets : savoir s'exprimer est devenu un critère d'excellence. Le racialisme signe le retour du racisme. A l'anniversaire de "I have a dream" de Martin Luther King, les média ont préféré une apologie de Malcom X. L'apparence prime.
L'uberisation qui prolonge l'externalisation va avec un renforcement des procédures, qui artificialise toujours plus l'activité.

Par dessus ce constat se profilent guerres et menaces écologiques ... Les musulmans sont entrés dans une guerre civile, et nous en sommes des victimes collatérales. Comme l'a montré Guy Debord, le terroriste s'enferme dans un jeu avec la police. En prenant le peuple en otage, il se rend encore plus insupportable que le pouvoir. Il est condamné à échouer : c'est ce destin qui le pousse à la terreur. Son modernisme est décrit par André Breton (le manifeste du surréalisme) lorsqu'il parle de l'individu qui descend dans la rue avec un revolver ...

Ce monde mérite-t-il d'être défendu ?
Ce monde est violemment attaqué : des volontés impérialistes, des épidémies résilientes, des kamikazes imbus de leurs fanatismes, une extrême droite habile à se cacher, une extrême gauche intolérante, une planète en déséquilibre, avec des espèces qui disparaissent et un climat qui se dérègle, des ressources qui saturent, une surpopulation, des dettes qu'il faudra bien payer, des populations de pays entiers qui envient notre relative richesse. Ces désordres sont exploités par le retour du jeu des puissances, qui jouent de l'imperfection du droit.
Que devons nous défendre ?
Le changement annuel des smartphones, les lits kingsize, les centres commerciaux, les cinémas multiplexes, la climatisation et le chauffage à 22 degrés, les nourritures coloriées et bien emballées avec la possibilité d'en jeter un tiers, leur livraison à domicile, cinq semaines de congés payés avec des vols low-cost, notre armée de contrôleurs, chargés de missions, commerciaux, culturels et médiatiques, la semaine de 35 heures, la retraite à 60 ans, la CMU, l'accueil des migrants, même économiques, la vidéo surveillance, le rap, les voitures qui se garent toutes seules ... ?
Et qui va le défendre ?
Les travailleurs productifs, les jeunes actifs, les gens honnêtes ? sont-ils encore si nombreux ?
La morale civile s'éloigne : qu'il s'agisse de propreté ou de la planète, il y a une prime à celui qui crache dans la soupe. Nous récoltons les fruits de l'individualisme.

Face à ces risques de guerre et de catastrophe, face au besoin d'une construction consciente de la civilisation, on ne manque pas de scientifiques et d'analystes avec des épistémologies solides (à distinguer de quelques charlatans). On se demande alors comment tant de bêtise se trouve encore au pouvoir ? Pourquoi les hommes d'état naviguent-ils à si courte vue ?
Bien sûr, on suppose à chaque fois des calculs sophistiqués. Cependant, quand on en découvre les résultats, puis les moyens mis en oeuvre, on ne peut qu'être frappé par le nombre et la force des échecs.
Clausewitz a montré la difficulté de gouverner. Dialectiquement, on sait qu'une cause produit parfois son contraire ; qu'un raisonneur donne envie de déraisonner ; que les détails d'exécution produisent directement des résultats différents des buts pour lesquels on les a mis en oeuvre. En science du vivant, on sait qu'il faut parfois contraindre pour renforcer, tuer pour mieux faire vivre. Dans le monde humain, un charmant emmerdeur aura plus de succès qu'un gentil raisonnable. On a relevé l'influence d'une pulsion de mort.
L'égo et sa tentation de vertige est aussi présent, qui force vers les possibilités négatives. Le caprice individuel de celui qui ne veut pas être ramené à son genre sera peut-être à l'origine d'un désastre thermonucléaire.
Les décisions pour le long terme demandent un courage et une persévérance que n'offre pas souvent les conditions politiques et qui s'oppose parfois à leur maintien.
L'homme n'est pas un loup pour l'homme, mais il n'est pas tenté non plus de lui être favorable.

Qu'est ce que la guerre ? Nous l'avons un peu vite oubliée, mais pas dépassée.
Il y a des différences entre la paix américaine et la paix européenne : ne nous trompons pas d'époque.
Nous, européens, voudrions refroidir la guerre. Depuis la bombe, la victoire n'est plus une question de force. Elle passe maintenant par une domination plus sournoise, tempérée de coup de force. L'image de la guerre comme aventure s'est éloigné, mais le nouvel équilibre entre la protection et la civilité n'a pas encore été trouvé.
Les U.S.A., la Russie, la Chine, la Turquie, l'Iran s'arment fortement, comme la plupart des pays du monde, mais pas l'Europe, qui semble de plus en plus une proie offerte.
A-t-on oublié les 60 millions de morts de la 2è guerre mondiale ? N'y a-t-il que Poutine pour retenir les leçons d'Hitler et faudra-t-il atteindre le milliard de mort d'une prochaine guerre pour que nous reprenions ce que nous avons commencé en 1945, la primauté du droit ? On a utilisé l'idée de destruction créatrice, de mal nécessaire. Pourtant, derrière ce goût de la contradiction se tient une théorie régressive. Elle voisine avec l'amalgame entre tous les délits et masque l'augmentation des violences. Cet angélisme intolérant, a été diagnostiqué chez nous : le gauchisme culturel. La "cancel culture" ne concerne pas que l'extrême gauche. On retrouve jusqu'au gouvernement cette volonté de ne voir que ce que l'on veut voir.
Le multiculturalisme et la tyrannie des minorités que l'on retrouve dans les média et les universités déconstruit l'attrait à l'exportation du modèle américain, qui est arrivé à un point de rupture avec la civilisation qui l'a porté, comme avec la prise en compte du jeu des puissances. Cet affaiblissement fait le jeu d'une alliance entre les nations autoritaires et les tentatives djihadistes.

Comment les élites se sont-elles à ce point décomposées ? La question est-elle culturelle, comme pour l'effondrement de l'URSS : les démocraties ne se multiplient plus, à part peut-être en Ukraine. Les injonctions démagogiques du spectacle à soutenir toutes les particularités font que l'on ne soutient plus rien, et parfois même pas soi-même. Il n'y a plus de marge. Le totalitarisme soft change régulièrement de visage et son fractionnement s'adapte sans cesse. Ecrire sa propre histoire est de plus en plus une question purement individuelle, en refus du regard des autres.
Une tentation de retrait se manifeste autant dans l'abstention électorale que dans l'armement individuel. L'état peine à recruter des professeurs, des infirmiers ; les associations manquent de bénévoles.

Les mouvements populaires depuis "Occupy Wall Street" aux "Gilets Jaunes" mettent en porte à faux toute la représentation sociale. De l'état aux média, en passant pas les soi-disant "élites", on voit bien que cette structure, qui depuis l'état d'urgence n'a jamais été si puissante, est incapable de nous protéger d'un individu terroriste, de la corruption et de la décadence du pays. Dans le pouvoir sur la population, dans l'image qu'ils nous donnent de nous-mêmes, ces "représentants" affichent tous les jours leur faillite. Il nous faut aller plus loin dans la démocratie.
Les critiques de l'oligarchie ne doivent pas nous faire oublier que seul l'état protège les plus faibles.
Une sorte de panique semble affecter les états, qui veulent contrôler l'histoire, avec les lois mémorielles, et les contradictions, même dans la vie privée.

Ce qu'on appelle "populisme" n'est souvent que de la démagogie, qui prospère sur la bêtise du parti d'en face : si les politiques, les médiatiques, les militants, les curés, tous ces dirigeants, des transports aux "services", ne se moquaient pas de nous, si ceux qui décident faisaient un peu plus preuve d'intelligence, s'ils écoutaient au lieu de pérorer, s'ils avaient un projet au lieu d'un salaire, s'ils faisaient un peu moins un travail et un peu plus une oeuvre, s'ils ne jouaient pas à stigmatiser les musulmans ou les racistes, les uns ou les autres, s'ils se rendaient compte qu'eux aussi sont parfois des cons, alors, on pourrait peut-être les trouver estimables et on n'aurait pas peur de tomber dans pire.
Nous sommes nettement dans un mouvement de retour au réel et de décrédibilisation de la superstructure. Celle-ci s'enferre toujours plus loin dans des règlements parfaits et utopiques en même temps que nous voyons les Wiki, uber et airbnb s'installer. L'individualisme aura-t-il la peau de la filiation, pour un "meilleur des monde" ?
Il faut mentionner, dénoncer et combattre le mouvement "woke" qui s'étend sous la bannière américaine. Cette idéologie de la sensibilité est le résultat d'une méconnaissance de la "french theory" qui, à la suite de Gramsci, montre l'influence de la culture sur la politique. Mais la culture, comme la langue, ne saurait être la chose des militants. Bien sûr, les dictatures ont toujours pris grand soin d'avoir une "politique culturelle", mais les résultats non été que médiocres. La culture ne peut être à la fois que populaire et aristocratique. Elle doit "prendre" et élever. Dans ce domaine, il y a des progrès et des régressions, et ce n'est pas si facile déjà de les discerner, et encore moins de s'y opposer.

Avant la faillite de Lehman Brothers, il y a eu le scandale Enron. Le public avait bien vu les mensonges politiques, comme celui de l'invasion de l'Irak, mais depuis la fin de l'URSS, il croyait encore dans la régulation libérale. Depuis, il a vu la collusion de ceux qui sont à la fois juge et partie. Les errements sur le Covid ont multiplié les complotistes.
Comment croire aux déclarations des moralisateurs dont on sent bien qu'ils s'agit de toujours plus verrouiller leur pouvoir. La crise de confiance envers la parole dite objective ne date pas de là, mais elle a pris une force qui a pu s'étendre dans les nouveaux réseaux sociaux et qui alimente ces rumeurs et autres complots destructeurs de la république. La corruption semble partout et d'abord celle du pouvoir.
L'addiction à ces réseaux, si répandus dans la jeunesse, transforme le présent en un renouvellement permanent du rien. Derrière ce théâtre d'ombres narcissiques et avec l'idéologie de la transparence, de nouveaux outils de domination se mettent en place, qui semblent efficaces.
La généralisation du profilage et les big data ont refermé l'espace d'Internet.

On a vu avec le Brexit que quand la population avait l'opportunité de s'opposer à ces élites, elle le saisissait, quelque soit le motif. Et dans ce cas, elle suit des décennies de rationalisations fataliste ("Il n'y a pas d'alternative" ...) et d'un positionnement victimaire (c'est la faute à Bruxelles ...). On voit la forte tendance au séparatisme, première création du spectacle et de la domination.
Il semble que le temps de la mondialisation s'achève. Il emporte avec lui l'espérance de l'internationalisme. Quand l'état ne s'écroule pas dans la Mafia, comme en Bosnie, en Libye ou en Syrie, un nouveau conformisme national s'installe, avec le retour des moralistes et de leur hypocrisie puritaine, puis le retour des figures monarchiques : Poutine, Trump, Erdogan, Macron ...

Avec plusieurs faits polémiques actuels, il faut aussi mentionner les actions de "Quantitative Easing" des banques centrales. L'argent n'a jamais été autant bradé : le monde de l'économie est en pleine révolution. La croissance zéro, on en parlait dans les années 70 : nous y sommes. Cette crise n'est peut-être qu'un rappel de la réalité : aucune croissance n'est infinie. Le capitalisme est dépassé, et pas par sa critique.
Le "Welfare state" n'est pas gratuit. Il semble difficile d'accepter notre satiété. Nous avons été conditionné par des millénaires à accumuler. (on signale une forte recrudescence des pathologies, dites "diogène", de gens qui ne jette rien)
Quel sont les oppositions actuelles : Où sont les fronts de l'époque et les forces qui les soutiennent : démocratie/démagogie, ouverture/communauté, facilité/investissement, expérience/religion, croissance/équilibre, commerce/territorialité, artifice/vie, autorité/corruption ... Avec en arrière-plan de chaque génération la disparition des paysans.

On ne perçoit bien une époque que lorsqu'on s'en éloigne. Depuis les années 1980, ce qu'on a appelé le néo-libéralisme s'est étendu sur toute la planète, mais on dirait que cette période se termine. Il faut espérer que cette "transition" se résoudra sans catastrophe , mais ce n'est pas gagné.
Les peuples malheureux sont dangereux, et d'abord pour eux-mêmes.

Enfin, ne soyons pas pessimiste : tout le monde est conscient de la faiblesse actuelle de la gouvernance. On sait que ce ne sont pas des idiots qui décident, mais que quelque chose les rend idiots. Tout le monde est en train de chercher quoi. C'est sans doute que la solution est proche ...