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La modélisation à l'exemple du dessin technique

(Parce que les théories structuralistes ne sont pas si claires ...)
Nous vivons dans un monde d'images, c'est à dire de représentations, que nous nous faisons et que nous recevons. Même les mots sont des images.
C'est la façon dont nous les recevons qui définit leur message. Par rapport aux autres animaux, nous nous faisons une représentation de ces représentations, ce qui nous permet ce qu'on appelle des sentiments secondaires, comme la culpabilité, l'humour ou l'espérance.

Cette représentation globale, nous l'appelons le monde ou la réalité, mais ce qu'elle représente, nous ne le savons pas vraiment. Nous l'imaginons plutôt. On peut dire que notre vie se déroule à l'intérieur de cette imagination (1) ; c'est pourquoi le sentiment est important et parfois à détromper. Nous évoluons avec des modèles que nous avons élaboré.
La modélisation s'inscrit dans la prédominance de l'esprit humain, de l'homme dirigeant la matière. L'histoire selon Hegel a pour but de rendre humain le monde. Ce rôle de créateur et, en même temps, de créature de sa création, est sans doute une complexité à l'origine de toutes ces théories auto-centrées.
On ne connaît pas la réalité, on l'imagine, on la découvre. (2)
Les contradictions entre les différentes théories scientifiques nous montre l'absolu de cette méconnaissance.
L'homme naît dans un monde de modèles dans lequel il grandit. Lorsque ces modèles sont des formes qui se réalisent, ils forment une civilisation. Ces modèles constituent une évidence qui occulte la réalité et a tendance à se refermer sur elle-même. Le modernisme a été l'effort de remplacer la réalité par les modèles : du stalinisme à la "réalité virtuelle", on a un monde qui prétend être meilleur que le vrai, et qui se justifie par des anti-phrases comme "la guerre, c'est la paix", "le gouvernement des travailleurs", ou "le développement durable". Ce totalitarisme échoue à être efficace. Il est débordé par un monde libéral ou international qui offre une ouverture, une altérité. (3)
Le mouvement moderne, à la suite de l'industrialisation, a permis une telle artificialisation que les limites à l'action humains ont semblé disparaître : "Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables que l'on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d'éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins "parfaite" et plus libre." Nicolas Berdiaeff
Passons ici sur le fait que de nombreux intellectuels et une grande partie de la classe dominante adopte actuellement l'idéologie de la déconstruction dans laquelle le réel n'existe que comme construction, sur l'exemple de la théorie du genre. Oublions que les mathématiques serait "situées", retour de Lyssenko et de sa "science bourgeoise". Tachons d'éviter ces régressions. (4)

On communique une idée de la réalité. On appelle fidélité d'un modèle son adéquation à l'idée que l'on se fait de la réalité qu'il recouvre. (5)

Le modèle est le remplacement d'un phénomène par un artefact qui possède quelques propriétés du phénomène, mais ne contient pas toutes ses qualités.

Le modèle condense les perceptions du phénomène et d'abord de ses variations. Cette transcription utilise le principe de l'analogie : le message exprime par sa forme ce qu'il représente. L'ornement par exemple correspond à ce qu'il décore : travail, richesse, minutie. Un grand plan annoncera un projet ambitieux. Le rationalisme moderne, celui des lumières, a essayé de permettre à des modèles non évidents de percer, grâce à la science. De là une critique de la culture, critique des évidences, puis déconstruction de cette culture. Cependant la connaissance ne peut se communiquer qu'avec des éléments sensibles. Le rationalisme a ses limites. (6)

Le modèle est un outil de communication. Pour utiliser un modèle, on doit pouvoir contrôler la réception du message. Le message représente une variation par rapport à un référent stable et neutre : le langage. Ce message peut être une transcription analogique du phénomène, s'il en contient certaines propriétés sensibles, ou une transcription numérique, purement conventionnelle, comme un code. L'écriture alphabétique par exemple n'est pas analogique (7). La critique du langage faite par les structuralistes peut être déconstruite comme une échappatoire à la critique du message : attaquer le contexte aboutit ici à accepter le texte.
On peut enrichir ou appauvrir un message en quantité (sens) et en poids (autorité).
La représentation n'est pas ce qu'elle représente : la carte n'est pas le territoire. La précision n'est pas la vérité. Ceci parait évident intellectuellement, ça l'est beaucoup moins dans la vraie vie. Un modèle n'a d'intérêt que par son usage, mais il figure dans l'esprit comme une réalité. Le signe peut devenir symbole, et même si "le mot chien ne mords pas", il reste le support d'un échange qui suppose une distance d'avec le signifié.
Ainsi, la dénonciation d'images fautives est-elle ambiguë, car l'impression de ces images est souvent plus forte que la dénonciation elle-même.

On sélectionne dans le phénomène les qualités à transcrire, auxquelles on cherche à rester fidèle. Même dans les descriptions quantitatives, il y a un choix dont la pertinence dépend de l'usage du modèle. Ce choix est une composante essentielle du modèle.

Théoriquement, chaque qualité du phénomène a un correspondant dans le modèle et réciproquement. Cette transcription mathématique s'appelle un morphisme. C'est la correspondance entre deux ensembles : le phénomène et le modèle.
Cette correspondance n'est utilisable que si elle est un isomorphisme, c'est-à-dire si elle fonctionne dans les deux sens : on peut simuler une opération entre deux objets en considérant une opération entre leurs correspondants. L'exemple algébrique le plus connu est sans doute les logarithmes : au lieu de faire des multiplications, on fait des additions...
"Toute relation vraie dans un ensemble isomorphe à un autre est vraie dans cet autre en remplaçant les éléments du premier par leurs images selon l'isomorphisme dans le second et la loi du premier par la loi du second." Mathématiques générales / Paraire et Lévita
Vérifier un modèle, c'est vérifier cet isomorphisme. C'est dire qu'un modèle ne peut prétendre à la rigueur scientifique que s'il peut être expérimenté.

Le modèle doit pouvoir être validé, c'est à dire correspondre à la demande : il doit être adapté au récepteur et à ce que celui-ci attend ou à ce que l'émetteur veut qu'il attende, même si la demande exacte n'existe pas avant l'échange. L'échange fait vivre le modèle, avec ses limites.
La modélisation suppose une utilité, un but. Cette téléologie s'oppose à la science des moyens, l'écologie. Il est difficile de modéliser le vivant et dans ce cas, chaque modèle doit être accompagné de sa critique : la vie dépasse les modèles.

La modélisation elle-même se construit en deux phases successives : une décomposition, une recomposition. La décomposition du phénomène à modéliser considère ses aspects et leurs variations. Elle se concentre sur les qualités attendues. La recomposition reconstitue un ensemble cohérent avec les propriétés du modèle.

La codification a son économie, qui n'utilise la redondance que pour la sécurité. La redondance peut être utile en permettant le contrôle, mais en cas de modification, il faut modifier toutes les occurrences. De même, l'opinion garde en mémoire les modèles périmés, qu'il faut sans cesse dénoncer.

On peut distinguer deux analyses : on part de la pratique, en ce qu'elle a de déjà connu, pour en déduire une idée utilisable de la chose, et l'on risque de s'enfermer dans une tautologie stérile, ou bien on part de la chose, lorsqu'elle apparaît, c'est à dire lorsqu'elle s'oppose à son idée. Le danger est alors de se fixer sur une qualité isolée, sur un accident.

Transcription objective du monde Euclidien, le dessin technique utilise principalement la géométrie descriptive.
Une dimension du modèle est une variation possible, irréductible à une autre. Contre l'idée qu'on aurait intuitivement, la réduction du nombre des dimensions est un enrichissement, une densification du langage. Ainsi, il y a plus de communication dans le dessin en 2 dimensions qu'en 3, dans la photographie en noir et blanc qu'en couleur, dans la photographie que dans le cinéma ... C'est la force de la dualité, qu'il faut maîtriser avec la dialectique.
(Géométrie descriptive)
Parmi les nombreuses limites de la descriptive, il faut citer le fait que ses fonctions sont en général continues, dérivables et de dimensions entières, ce qui n'est pas le cas général de la nature.
On voit par là que la technique a fait apparaître un monde "moderne", correspondant à l'esprit de géomètre.

Echappent à ce déterminisme les logiques floues, les fonctions fractales ou les espaces topologiques. La logique floue accepte les contradictions, les fractales sont des dimensions fractionnaires, la topologie questionne l'espace.

La représentation prétend à l'objectivité. Le message échangé est supposé extérieur à ceux qui l'échangent.
L'information est la communication réifiée, fixée. L'objectivité de l'information n'est pas dans ce qu'elle décrit, mais dans son fonctionnement contrôlable. Comme les structuralistes, ceux qui étudient le langage en lui-même perdent parfois de vue ce qui le justifie, son rapport à la réalité. Ainsi, les média "d'information" sont-ils en réalité des supports de divertissement.

La modélisation a d'abord pour but une communication, parfois même à soi-même. Elle est donc langage, et tout langage est une modélisation.

Lorsque les modèles sont matériels, ils sont intemporels. Leur forme tend à être symbolique. Leur ensemble constituent une civilisation.
Lorsque les modèles sont immatériels, ils sont subjectifs et datés ; ils sont culturels et la culture qu'ils composent permet à un groupe humain de se reconnaître.

La matérialité se prouve par l'expérience. En son absence, la liberté des modèles les compose dans une idéologie qui tend à la totalité de la vie et ritualise l'existence des choses. Son autorité sans discussion prend la forme d'un spectacle.
Le Spectacle est le modèle dont l'autorité n'est que rituelle. Il prétend à la réalité en y restant extérieur.
Lorsque l'analogie se trouve remplacée par la numérisation du monde, à la suite tant de la science cartésienne que de la généralisation de l'économie, les civilisations sont menacées par les cultures. Un mode de transmission du monde se fait par la révélation d'un code sacré, comme les précédentes initiations.
La digitalisation du monde est une pétrification dans les codes dominants. Autant l'analogie est une transposition dans le modèle des qualités perçues, autant la numérisation est purement conventionnelle. Cette convention est la trame du code. Avec la cybernétique, les conditions sont mures pour le retour d'une société de castes.

La numérisation ouvre un nouveau champ aux mathématiques. Le projet de transformation du monde est détourné vers la création d'une illusion. L'informatique favorise les modèles numériques, avec lesquels elle reconstitue une logique conditionnelle. La modélisation à base binaire est la dernière victoire des thomistes sur les aristotéliciens. C'est l'idée de la réduction possible du monde.

Le critère de la modélisation est la communication, avec le modèle comme message.
Il exprime la lutte actuelle entre la tendance à la normalisation I.S.O. et les féodalisations des systèmes propriétaires.
Tous les modèles ne se valent pas. Certains sont meilleurs que d'autres, plus fructueux en quelque sorte. Il y a concurrence entre les modèles. Le progrès comme la décadence viennent de cette concurrence. Un modèle correspond la plupart du temps à une échelle de perception. sa pertinence dépend des données d'entrée.

La modélisation, la caractérisation et toutes les typologies ne suffisent jamais à comprendre le réel, mais leur existence y aide : mettant en lumière les points qui y échappent, elle pousse l'approfondissement de l'étude.

Karl Bühler propose une théorie du langage qui offre trois stades : 1/ l'expression (d'un état intérieur), 2/ le signal (de réception d'une expression), 3/ la description (d'une situation).
La description, qui n'est pas une définition, est le début de l'humanité, c'est le problème de la vérité et la possibilité du mensonge. L'esprit humain commence avec cette rétroaction.

En Italie, on dit que le traducteur est un traître.
"Quand on fut ennuyé des querelles sur la grâce efficace et sur le formulaire, on s'est mis à disputer sur la musique, et ce fut avec d'autant plus de violence et d'emportement que le sujet de la querelle était plus frivole. L'horreur d'un Quesnelliste pour un Conformiste ne saurait donner aucune idée de celle d'un Lulliste pour un Ramiste, et ceci dura jusqu'à l'irruption des Gluckistes et des Piccinistes qui vinrent se ruer les uns sur les autres et se prendre par les cheveux jusque sur les balcons et sur les parterres de l'Opéra. A la frénésie pour la musique a succédé la passion pour la tactique militaire, et la discussion roule particulièrement sur le plus ou moins d'épaisseur qu'il faut donner aux bataillons quand on les dispose en colonnes. Je vous demande un peu ce que cela peut faire à l'abbé de la Colinière, à Mme de Lustrac ou à Mme Trudaine. Je ne sais plus pourquoi je m'étais déterminé pour l'ordre mince. M. de Penthièvre a supposé que c'était pour éviter de ma trouver d'accord avec le comte de Broglie qui tenait pour l'ancien système de M. Mesnildurant, et sans doute il avait fallu quelque motif de cette importance là pour me décider à prendre le parti des novateurs." Marquise de Créquy, vers 1760.
"Les géomètres ont eu un empire brillant, mais court. Leur chute doit d'autant plus les humilier que leur triomphe leur avait fait tourner la tête. L'époque de leur gloire est en ce moment où tout Paris s'est cru géomètre. C'est alors que paru le "Newtonisme pour les dames". Chacun se persuada en effet qu'il était inutile de se donner tant de peine pour devenir savant, et que l'imitateur de la "pluralité des mondes" avait mis à la portée de l'intelligence la plus commune tout le sublime de la philosophie nouvelle. On étudia les institutions physiques. On appris par coeur Les éléments de Newton." Mercure de France, 1754.

Modèle de Maxwell : il contient trois interactions fondamentales, prédisant le comportement de la matière à l'échelle de l'infiniment petit. L'interaction faible, incluant la radioactivité. L'interaction forte, qui explique entre autres la cohésion du noyau des atomes et donne l'essentiel de sa masse à la matière. Et enfin l'interaction électromagnétique : c'est la lumière, les ondes radios, l'électronique... Depuis la mise en place du modèle standard, de nombreuses expériences ont été menées pour s'assurer de sa fiabilité. Pour l'instant, pratiquement toutes ses grandes prédictions ont été vérifiées.- polémique du muon : Mais on ne parvient à y inclure certains phénomènes essentiels. Il manque par exemple l'interaction gravitationnelle, la quatrième force fondamentale. On n'arrive pas à l'intégrer au modèle. Idem pour l'énergie sombre et la matière sombre. à elles deux, elles constituent 95 % de l'Univers : "les quarks interagissent en échangeant des gluons"

Toute l'Art humain réside dans les modèles. Le réalisme est la tentative malheureuse d'essayer d'oublier les modèles, une démission de l'esprit.
Le dépassement de l'enfance, c'est quand "le réel n'est plus qu'un cas particulier du possible" Piaget ; avant, le possible n'est qu'un prolongement douteux du réel.
L'intelligence "c'est lorsque le construit déborde le donné" Delacroix

La diachronie concerne des locuteurs qui échange selon un contexte, tandis que la synchronie suppose une contemporanéité. La parole (individuelle) n'est pas le langage (commun)(Voir Fd Saussure avec la séparation entre le signifiant et le signifié)

(1) C'est ce que les indiens appellent "Maya". On peut dire que Socrate s'élevait contre cette limitation du monde humain à laquelle nous ramènent les structuralistes.

(2) "La réalité apparaît lorsqu'on se cogne" (Lacan) ; elle reste ignorée des militants et de tous ceux qui s'accrochent à leurs préjugés.

(3) C'est la Société ouverte de Karl Popper, mais c'est aussi l'invention, l'idée qui va voir derrière le modèle.

(4) Il devient actuellement nécessaire de rappeler que le réel existe indépendamment du spectateur, que l'homme ne peut pas tout, et que c'est heureux. Accepter le donné a été une grande victoire de l'humanité et reste le marqueur du passage à l'âge adulte.

(5) La relativité de cette fidélité est évidente dans les échanges de courrier entre Einstein et Bohr et dans la contradiction de leurs modèles respectifs. La science elle-même ne découvre que ce qu'elle peut connaître : elle fait de la phénoménologie et s'appuie sur des notions comme celles d'entropie, qui sont foncièrement relativistes.

(6) La "Société du Spectacle" (Guy Debord) est la domination que l'on espère provisoire des préjugés et d'abord de l'économie.

(7) C'est pourquoi l'apprentissage syllabique introduit l'accès à l'abstraction dans la formation des enfants.