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Le Gilet Jaune, nouvel habit du peuple

Manifestations

Le mouvement des Gilets jaunes a été profond et précurseur. Les représentations critiques, et d'abord la gauche, avait fait oublier le peuple. Le peuple n'est pas une icône. Il n'existe pas de "Peuple" avec son "identité", pas plus qu'il n'y a de "communautés". Tout cela varie sans cesse, et c'est très bien. Ceux qui veulent DEFINIR se trompent. La seule idée solide est négative.
De même que la justice ou la tolérance ne peuvent se définir, mais que l'on comprend très bien l'injustice ou l'intolérance, le peuple, ce sont les gens sur lesquels s'exerce le pouvoir : ceux qui travaillent pour la société et à qui l'on fait construire une société inhumaine, ceux qui payent des impôts pour entretenir des parasites, riches ou pauvres, ceux dont la parole n'est jamais prise en compte ... et il y a encore une infinité d'injustices ... Ce négatif est la vraie force de l'histoire.
Ce sont donc l'injustice fiscale d'abord, sociale ensuite, le mépris de classe qui ont réveillé les Gilets Jaunes.

On a dit beaucoup de bêtise sur les Gilets jaunes.
Par un des renversements typique de la Société du Spectacle, le côté partiel des premières revendications des Gilets Jaunes a aboutit à une critique globale, tandis que les mouvements précédents, Occupy Wall Street, les Indignés ou Nuit debout, qui avaient commencés avec une idée générale ont rapidement été cantonnés dans un particularisme gauchiste. Tous ces mouvements "critiques" véhiculaient une ancienne idéologie qui les condamnait.
Comme après 68, la gauche a ici joué son rôle de rempart du système, en récupérant d'abord, puis en parcellisant jusqu'à la réforme des retraites. Son travail a consisté à ramener ce peuple à la subjectivité, et donc à son inoffensivité. Est-ce une intelligence inconsciente ou une collusion avec le pouvoir, quel qu'il soit ?

Les taxes sur le prix de carburant et leur mauvaise justification ont fait jaillir un malaise social qui s'était accumulé depuis des années : "ras-le-bol fiscal", baisse du pouvoir d'achat, sentiment de régression sociale et peur du déclassement. Le mouvement, déclenché par des raisons économiques, a vite révélé que l'économie est la pensée de la domination. Il s'est immédiatement porté sur la question de la division sociale, de la relégation et de son invisibilité.
Les divisions ne sont pas seulement sociales, elles sont aussi culturelles. Depuis des années, les appels réitérés à s'adapter à une concurrence mondialisée où le prix du travail et les protections sociales deviennent des valeurs d'ajustement, s'accompagnent d'un discours moralisateur dans le domaine de l'écologie, de la culture et des mœurs prônant un libéralisme de façade et une vraie dissolution des liens. Cette conjonction renforce les divisions au sein de la société entre les élites au pouvoir et une bonne partie de la population. (Jean-Pierre Le Goff)
Ainsi de l'usage de l'anglais, marqueur de cette séparation, ou de la numérisation de plus en plus intensive qui est perçue comme la dévitalisation d'une société de rapports humains.
Le concept de "France périphérique" de Christophe Guilly a bien décrit cette insécurité culturelle qui atteint ceux qui ne participent pas de la mondialisation.

Les Gilets Jaunes ont percé l'invisibilité dans laquelle le pouvoir se justifie et l'ont fait suffisamment fort pour qu'il tremble, au moins jusqu'à la fin du quinquennat. Seuls, ils ont porté la critique des classes dominantes. Si depuis Sarkozy et Hollande, l'état poursuit toujours la même politique, ils ont en six mois fait dévier cette direction et n'en ont pas terminé.
Ils n'ont pas gagné. Le gouvernement n'a pas compris, mais il doit maintenant tenir compte du peuple et il ne peut pas cacher qu'il est isolé. En 6 mois, l'histoire a été (en partie) faite par des hommes et non par des choses.
Bien sûr, le mouvement s'est fait "rejoindre" par tout un lot de contestataires du gouvernement qui n'arrivaient pas à se faire entendre, et la plupart ne veulent que se servir des Gilets jaunes comme force d'appoint.
Cette déviation, tout comme la criminalisation du mouvement, a permis à Macron de le contourner.
Révolte des praticiens, ce mouvement a mis en porte-à-faux les gestionnaires qui ne pensent qu'aux flux financiers, comme la crise du Coronavirus le montrera encore par la suite.

L'histoire retiendra plusieurs phases :
- la blocage des ronds-points, la pétition contre l'écotaxe et 10 morts dans l'occupation sauvage
- la réponse calomnieuse du gouvernement contre "la peste brune" et l'affichage du mépris des médias
- la doctrine du pourrissement (déjà) et la montée en violence
- l'émeute, avec ses deux samedis du 17 novembre et du 1er décembre, mais dans un quartier hostile où il s'est révélé impossible de tenir le terrain
- le ralliement de l'extrême gauche et la transformation en manifestation
- les groupes isolés, qui cherchent à tenir et témoigner
- l'échec de Macron et son grand débat
- le contournement avec la réforme des retraites
- mesures dilatoires - négociations partielles et syndicales
- le pouvoir sauvé par le confinement

La critique de fond portée par le mouvement est le déni des acteurs "de terrain". Tout ce monde "hors sol" des décideurs ne peut que mépriser ceux qui font et qui possèdent une pratique. On a vu avec l'épidémie comment l'état pouvait encenser les "premières lignes" pour les sacrifier ensuite.
Si leur plate-forme de discussion "le vrai débat" a été un laboratoire d'idées, il n'a pas laissé de suite. Devenu un moment historique, il est assez bien documenté.

C'est par exagération qu'on a pu, une année après, présenter le Professeur Raoult comme un étendard des Gilets jaunes, et pourtant, la parole de quelqu'un de réel a eu ce même effet de révélateur de la fiction bureaucratique.
Il n'est pas anodin que la critique portée par Raoult de séparer la recherche de la pratique ait correspondu avec le survol médiatique que dénonçaient les Gilets jaunes. Ce survol continue d'enterrer l'expression populaire en la divisant avec Zemmour ou Melenchon.
Pour l'instant, la majeure partie de la population s'est éloigné de la sphère médiatico-politique, à laquelle elle n'accorde plus d'autorité. Cela va positivement de la démission professionnelle à l'abstention et aux recherches de nouveaux liens locaux, et négativement à un doute général sur la parole publique, voire au complotisme.