Il y a différentes manières d'habiter : nomade, propriétaire, copropriétaire, hébergé, locataire du privé, du parc social, colocataire, en logement de fonction, à l'hôtel... L'habitat est-il un choix individuel ?
Il y a, de plus en plus, un appétit d'habiter le monde, de moins en moins satisfait. L'âme a besoin de se réaliser, et certains se créent une bulle avec leur musique.
L'habitat est d'abord un ancrage. Le rapport à ses racines, la volonté de les développer et d'en partir, voilà le ressort le plus puissant. On sait l'importance des transmissions et le besoin de se placer dans une filiation. L'habitat est le partage d'un foyer. C'est la projection de notre personnalité, la résolution de nos besoins d'intimité et de sécurité. Même nomade, l'humanité se caractérise par ses lieux, ainsi les civilisations et les cultures se sont orientées dès l'origine à partir des cimetières et des ancêtres.
La cité, la communauté des citoyens, n'existe que dans sa projection réelle, que ce soit la grande ville ou le moindre bateau.
A l'opposé, le logement est une position par rapport au pouvoir, au lointain, aux correspondances : une extension, une objectivité. Autant on habite quelque part, autant on est logé. On loge une marchandise, pas un habitant. Le logement correspond à une référence dans un index, une adresse. Ceux qui parlent du logement placent les "occupants" en position d'objet, objet du pouvoir. Le "Droit au logement" est ainsi la revendication d'esclaves qui veulent être mieux traités. "Le logement, c'est le garage à humains" Ivan Illich
Il y a un besoin de logement, il y a un désir d'habiter. L'habitat renvoie à l'âme, c'est à dire à l'essentiel. On est habité par un sentiment ou une volonté. A contrario, on loge ses objets dans une boîte ...
Quand on parle de marché du logement, on évoque plus une fiction qu'une théorie.
L'accès au logement n'est pas qu'une question d'argent, mais le coût est un obstacle dans les parcours résidentiels.
Le logement n'est pas une marchandise : il nous conforme. Il n'y a pas de marché : il n'y a pas de fluidité. Il y a un marché du foncier (et encore ...), des marchés de construction mais pas de marché de l'habitat. Considérer le logement comme un bien soumis à la loi de l'offre et le demande est une erreur qui révèle un point de vue idéologique.
Il y a un marché de l'immobilier, dont l'habitat est captif. On appelle marché de l'immobilier le marché financier qui joue avec l'emplacement, le foncier et la construction : il intéresse les propriétaires et reflète d'abord leur sentiment : s'ils sont confiants, le prix du mètre carré monte. Un puissant Lobby défend cette hausse : journaux plus ou moins spécialisés, agences, promoteurs et jusqu'aux municipalités qui y sont intéressées par leur fiscalité ; sans oublier tous les propriétaires qui sont autant d'électeurs. En face, les forces qui tendent à faire baisser les prix sont limitées : manque de moyens des occupants, faible capacité d'endettement, rejet de la croissance ... On remarque que toute amélioration de ces capacités (par exemple pouvoir s'endetter sur ses enfants) fini par augmenter le coût du logement. Il y a deux marchés de l'immobilier selon les localisations : l'un qui ne fait que renchérir, l'autre qui ne peut que dépérir.
L'idée d'un marché de la location n'a pas plus de sens. Dans les secteurs "tendus", la simple accession est une victoire. Ailleurs, le logement social est parfois plus cher que le privé ... Pour le locataire, le montant du loyer est une contrainte fatale.
Il n'y a que pour la doxa administrative que des loyers élevés correspondent à une demande de logement supérieure à l'offre. Des loyers élevé correspondent à un territoire où les propriétaires s'entendent.
Le choix du lieu pour s'implanter est personnel, mais il y a de nombreuses contraintes, et il est difficile d'en faire la liste : en face des métropoles congestionnées et factices, le reste du territoire (les politiques parlent "des territoires", sans conscience du mépris que ça transmets) est en appauvrissement rapide. La métropole concentre les transports, si importants dans notre mode de vie. Elle draine les forces de sa colonie, la périphérie.
Dans les métropoles, les propriétaires s'enrichissent en dormant. Dans les périphéries, ils perdent de l'argent. L'accès à l'immobilier est le principal seuil de la séparation sociale qui fonde les métropoles.
On peut déjà remarquer comment on valorise la croissance de la construction, qui s'oppose bravement à la crise du logement. On est supposé manquer de quantité. Engels avait déjà formulé à son époque le constat de la quantité suffisante de logement, mais de sa mauvaise répartition. Ce constat est toujours valable, selon les classes sociales et selon les emplacements. Ainsi, les centaines de milliers de logements créés chaque année correspondent à peu de chose près aux centaines de milliers qui deviennent vacants dans les zones "périphériques".
La métropole est une référence, pas une attache. Elle se veut en permanent changement, et multiple. Elle n'est que le point de départ d'une aventure mondiale. Elle méprise l'horizontalité du lien avec le lieu. Son paysage est fabriqué et mouvant : "(la forme d’une ville change plus vite, hélas! que le cœur d’un mortel) Charles Baudelaire".
Le logement a un coût qui semble incompressible, pour l'occupant comme pour la communauté. Réduire ce coût devrait être un souci public, ce n'est pas le cas. Est-il normal de consacrer plus de 30% de ses revenus à se loger ? Si c'est une moyenne, jusqu'où cette valeur peut-elle monter ? La bulle immobilière suppose des loyers élevés. Ainsi, les plus-values immobilières devraient être fortement taxées (y compris pour les résidences principales) : il s'agit d'un enrichissement sans cause et la taxe n'empêche pas le profit. Il s'agirait de mettre un frein à la spéculation. La séparation du foncier et du construit serait un moyen détourné de diminuer celle-ci, mais avec des conséquences vicieuses qui se feront sentir par la suite, comme la complexité des mutations.
Ce coût existe également en dehors des constructions, dans les trajets et les équipements par exemple. Qui paye la dispersion spaciale ?
L'état dépense 40 milliards par an pour le logement, mais en récolte 63 milliards (2017).
L'investissement dans l'immobilier détourne les capacités de la production. La rente immobilière est une charge supplémentaire imposée au coût de l'habitat. Tout le monde s'accorde à trouver le prix du logement prohibitif, mais personne ne travaille à étudier et diminuer celui-ci, qui est d'abord d'origine social.
"Autrefois l'homme habitait dans des cavernes. Maintenant, il doit les payer." Karl Marx
Croire, comme M. Macron le feint, que l'abondance de constructions va limiter le coût du logement est une erreur, une méconnaissance de ce qui fait son prix. Celui-ci a plusieurs origine : la spéculation foncière, toujours entretenue par un fort lobby jusqu'en haut de l'état, le coût de l'ingénieurie financière, liée à un mélange de complexité individuelle et de facilités bancaires, enfin, mais bien moindres, les coûts de la construction et de l'entretien. Ces coûts varient du fait de la spéculation, puis de l'accumulation de règles, qui correspondent à une déresponsabilisation des acteurs au profits des "majors" et de la sous-traitance. Cette situation maladive est un résultat flagrant de ce que l'on appelle la politique libérale, mais dans laquelle l'état est l'acteur principal. "La mobilité physique signifie mobilité sociale" (Programme d'En Marche, repris par Le Monde 15 mai 2017)
Le nombre de logement influe très peu sur leur prix, du moins jusqu'à la vacance. Les possibilités des acquéreurs un peu plus, mais on a vu dans les périodes de croissance euphorique qu'une bulle spéculative peut se maintenir. Il y a une croyance dans une valeur intrinsèque de l'immobilier ("la Pierre ne ment pas"). Ce qui vaut cher n'est ni l'immobilier, ni le foncier, mais l'emplacement, valeur sociale avant tout.
La "crise du logement" est d'abord une crise de la localisation
Le logement social représente la continuation des oeuvres des patrons philantropes, comme Albert Meunier. Les saint-simoniens ont élaboré les premières organisations visant le bien-être des ouvriers. Il ne faut pas oublier que la Sécurité sociale a été largement installée par le gouvernement conservateur de Bismark.
Si cette politique a pu justement être critiquée comme paternaliste, c'est parce qu'elle a considéré les employés comme ses objets. Objets à bien traiter, mais objets quand même. La critique en a réuni les socialistes et les aristocrates. Certains calculs cyniques en sont restés.
Le mouvement socialiste va reprendre ce soin et le transformer en une conquète populaire, surtout par la gestion paritaire. Il ne s'agit toutefois pas d'une réhabilitation de l'individu, mais d'une libération collective.
C'est dans cette perspective, et dans le constat que le marché privé est incapable de gérer le besoin de logement, constat bien établi par L'Abbé Pierre, que le mouvement HLM va prendre son essor moderne. Malgré toutes ses lourdeurs, ses défauts de nature et de fonctionnement, il offre encore un équilibre et la satisfaction de ce besoin. Rappelons qu'il comporte un volet d'éducation à l'habitation.
La question posée au niveau européen est de savoir si ce domaine doit être réservé aux plus pauvres ou non. Il est certain qu'une fois le besoin de logement satisfait, la réalisation d'une personalité, l'habitation, est une seconde étape.
Ce que l'on peut critiquer, c'est la dépendance de l'habitat à l'économie. Pourquoi ne pas remplacer, à l'occasion des successions par exemples ,la propriété foncière urbaine par une concession limitée dans le temps auprès de la collectivité (la vraie, pas sa représentation), ce qui diminuerait d'autant les expropriations et préemptions. Pourquoi, avec ce fond, ne pas attribuer à chacun un domicile qui serait inaliénable (sauf échange) et qu'il aurait obligation d'entretenir ?
On vit dans un lieu, on habite une ville. Le citoyen est une invention de la cité. Les trottoirs parisiens ont été le lieu de rencontre d'une vie mémorable. Maintenant que les déambulations se font dans des centres commerciaux, quelque chose s'est perdu qui ne reviendra pas facilement. Il faut d'abord comprendre là où on habite. Il y a des espaces qui rendent heureux, et d'autres pas. Il y a une relation entre l'habitat et l'habitant. (voir "House as a Mirror of Self" de Clare Cooper Marcus) C'est pourquoi il faut aussi de espaces extérieurs ouverts, des parcs et jardins ...
L'appropriation de son espace devient plus difficile à raison de l'éloignement des pratiques artisanales du passé. Le bricolage et la décoration tentent de suppleer le manque de traces humaines des constructions actuelles. L'industrialisation du bâtiment a été le mot d'ordre des vingt dernières années, et on en voit le résultat. Chaque fois qu'un problème est survenu, l'état a fait appel à une profession spécialisée, quitte à la créer comme ces multiples diagnostiqueurs, qui n'apportent pas de réponse au manque d'unité du bâti.
Distinguons plusieurs acteurs de l'immobilier :
Matinales Construction et Logement du 21 novembre 2017, avec Thierry Repentin (Réunion politique de préparation du Plan Logement du gouvernement.), dans le cadre de la Conférence de consensus sur le logement : des intervenants brillants, mais des discours révélateurs de leur isolement
D'abord la référence permanente au soi-disant marché du logement pour parler seulement du marché de la construction, contradiction relevée par le président de la C.N.L., seul à soulever la complexité de l'habitat par rapport à un discours axé sur la réduction de la dépense publique.
S'il est vrai que 40 G€, c'est beaucoup, ce n'est que la part de la redistribution des 68 G€ que le logement rapporte à l'état.
Ensuite, l'horizon indépassé de la métropolisation, même s'il est dénoncé par Olivier Burot pour son zonage et l'idée de s'en servir pour la concentrer encore plus (on a quand même entendu que les "espaces tendus" assèchent leur pourtour).
Enfin, s'il semble se dégager un consensus pour rappeler la fragilité d'un système de croyance dans la valeur patrimoniale, sauver l'A.P.L. accession et freiner la normalisation, on voit que le "logiciel" n'est toujours pas complet.
Ça devait être présidé par Stéphanie Do (LREM) qui n'est pas venu, ce qui fait qu'il n'y avait personne pour défendre les annonces du gouvernement ...
On a quand même appris que le bail était trop protecteur, que les zinzins étaient sortis du logement, que le marché immobilier était considéré "visqueux", c'est à dire non facilement liquidable, et qu'il n'y a pas de crise du logement.
Appel des Economistes atterrés pour une conférence-débat : "Face à la crise du logement, quelles politiques ?", le 29 novembre 2017.
"Une crise récurrente"
Plus de 60 ans après l’appel de l’Abbé Pierre, la question du logement reste cruciale en France. C’est une urgence sociale : de nombreux ménages vivent dans des conditions de logement précaires, d’autres subissent de longues heures de trajet travail/domicile. Le parc de logement social est notoirement insuffisant. La pénurie a fait du logement le premier poste de dépenses du budget des ménages, bien loin devant l’alimentation. Les ménages consacrent près de 20% de leur revenu au coût de leur habitation principale, une part qui n’a cessé d’augmenter depuis 30 ans. Derrière cette moyenne se cachent de grandes inégalités. Quel que soit le statut d’occupation (locataire du privé ou locataire du parc social, propriétaire accédant ou non), plus le ménage est pauvre, plus le coût du logement pèse sur son revenu. Ce sont les locataires du parc privé et les accédant à la propriété qui consacrent la part la plus importante de leur revenu au logement : plus de 40 % du revenu pour un locataire du parc privé sur cinq. Le coût du logement pèse sur les autres postes de consommation. La hausse des loyers est un facteur d’inflation salariale, sans gain de pouvoir d’achat. C’est aussi une urgence écologique, car selon Négawatt, plus de 40 % de la consommation d’énergie finale provient du secteur résidentiel et des bâtiments.
"Une politique mise en cause"
La politique du logement est souvent accusée d’être coûteuse et peu efficace. Le gouvernement actuel veut réduire les allocations logement alors qu’elles font partie des prestations les plus redistributives ; il s’attaque aussi aux ressources des sociétés d’HLM bien qu’elles soient indispensables au développement et à l’entretien du parc des logements sociaux). Pourtant, les aides aux logements ne sont pas plus généreuses qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni ; la France a proportionnellement moins de logements sociaux que les Pays-Bas.
Les gouvernements précédents ont développé de coûteuses incitations fiscales aux bailleurs privés. Ont-elles été efficaces ? Quel bilan faire de la politique du quinquennat Hollande (extension de la loi SRU, loi ALUR, encadrement des loyers dans les zones tendues, etc.) ?
"Quelles politiques pour l’avenir ?"
La stratégie libérale vise à offrir plus de rentabilité et de sécurité aux investisseurs et aux bailleurs privés : fin de l’encadrement des loyers, bail mobilité, développement des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif, accélération des procédures d’expulsion locative, remise en cause de la loi SRU, etc.. Elle est, selon nous, coûteuse pour les finances publiques et les ménages locataires, qu’elle fragilise.
L’urgence n’est-elle pas la construction massive de logements sociaux, dont certains devraient être réservés aux ménages les plus en difficulté ? N’est-elle pas de favoriser une baisse des prix des logements et des loyers, et de mettre en œuvre un important chantier de rénovation énergétique des bâtiments existants et de rénovation de certains quartiers ?
Comment alors financer ces programmes ambitieux ? Faut-il réserver les logements sociaux aux plus pauvres ou favoriser la mixité sociale ? Quelle place à l’avenir pour le locatif privé ? Faut-il encourager l’accession à la propriété ? Comment lutter contre la spéculation immobilière ? Faut-il réformer la fiscalité de l’immobilier, taxer davantage les plus-values immobilières ? Comment récupérer des logements inoccupés ou peu occupés dans les zones tendues ? Comment mobiliser les terrains non-bâtis ? Comment inciter les communes à participer à cet effort ? Faut-il densifier les centres-villes ? Voici quelques-unes des questions qui seront mises en débat.
(Note de Contrecourbe : on retrouve dans cette posture l'idéologie "mainstream" du logement et de sa crise, du logement social comme social, de la métropolisation comme inéluctable et de la mixité sociale comme opposée à l'existence de communautés pauvres)
Parmi toutes les contributions de la Conférence de consensus sur le logement, seule celle proposée par le Comité d’action de la Maison de l’architecture d’Ile-de-France, intitulée ‘Initiative Logement’, semble à la mesure de l’enjeu puisqu’elle ne propose rien moins que de déclarer le logement d’intérêt général
L’habitat est depuis longtemps au coeur de réflexions poétiques et utopiques sur les formes qu’il peut prendre comme les significations qu’on peut lui faire endosser.