La bulle immobilière : l'outil de la ségrégation
Il n'y a pas de marché du logement. L'habitat n'est pas une marchandise.
Il y a un marché de l'immobilier dans la mesure où il y a un marché du foncier, ce qui est déjà douteux.
Tous les économistes savent qu'il n'y a pas de "vrai prix". Il y a différents prix pour une même marchandise, qui dépendent du point de vue. Simplement, en dessous de certains prix, il n'y a pas de production. Il peut y avoir des braderies, comme les maisons à 1€ (1), mais le contexte en est toujours critique.
Chacun s'accorde à dire que l'habitation représente une trop forte charge en France. Une consultation a même été lancée par le gouvernement en 2017, sans résultat.
Il s'agit de limiter le coût de l'habitat, pour les propriétaires comme pour les locataires, ceci sans en diminuer les qualités.
Il faut bien distinguer le coût économique et l'investissement mental : C'est parce que l'habitat n'est pas assez humain qu'il est trop cher. C'est parce qu'il est trop économique qu'il n'est pas satisfaisant. On parlait autrefois d'une "Maison" pour qualifier une famille : le remplacement de ces Maisons par des marchandises a eu un coût humain.
Ne parlons ici que de l'économie immobilière
Il y a un lien entre le prix d'achat d'un logement et son loyer : c'est le rendement locatif. S'il n'est pas assez élevé, il n'y a pas de renouvellement de locations et pas de vrai entretien.
Le logement social, institutionnel ou par conventions, est une possibilité de limiter le loyer en en étalant le rendement. La limitation des loyers est une possibilité dangereuse qui limite la construction, l'entretien et la mobilité. Elle doit être bien calculée, et non par démagogie. La solidité de ce modèle dépend de la santé des organismes qui le gèrent.
La fantaisie de la nationalisation du logement, c'est à dire de tout son remplacement par un service social transformerait l'économie du bâtiment en une économie dirigée, avec les dérives et la corruption que l'on connaît. Le logement social généralisé deviendrait le gestionnaire de la rareté du logement. On voit déjà que dans les zones tendues, les listes d'attente et les critères de choix excluent "naturellement" toute une série d'acteurs. Rappelons que les publics les plus en difficulté sont principalement logés dans la parc privé.
Ce monopole déposséderait les individus de leur autonomie. En dépersonnalisant l'investissement, le logement social rend encore plus difficile l'appropriation. Cette désaffection a des coûts annexes (entretien, sécurité ...), qui se superposent aux autres. Le coût du logement social est simplement répercuté sur les autres membres de la société. Rappelons enfin que les organismes HLM ont également une mission de formation des habitants.
On peut facilement envisager d'aider les plus pauvres, c'est une question de répartition dont il n'est pas question ici. Le faire par la gratuité du logement revient à masquer son coût, c'est à dire à prendre les gens pour des enfants.
Le propriétaire, même public, répercute d'une façon ou d'une autre ses charges sur l'occupant.
Pour la charge financière brute du logement, il faut prendre en compte les charges courantes et les prix d'acquisition. Les charges courantes comprennent le coût du maintien de l'habitabilité et les services comme l'énergie. Les charges courantes évoluent en fonction des exigences de confort (2). Le coût d'acquisition dépend de plusieurs facteurs, mais le plus décisif est l'emplacement et il intervient justement là où le marché est tendu.
«Depuis 2006, le coût du foncier augmente trois fois plus vite que le coût du logement. Si les coûts du foncier et de la construction ont tous deux augmenté, la progression du foncier a été plus marquée ces dernières années. Le prix moyen d’un m2 de terrain en France s’est accru de 60 % entre 2006 et 2013, passant de 46 euros à 73 euros, quand le prix moyen du m2 de bâti n’a augmenté "que" de 21 %, passant de 1031 euros en 2006 à 1244 euros en 2013.» CLCV
Cette tendance est accentuée par la spéculation foncière dans les métropoles : ainsi la valeur du mètre carré habitable a plus que triplé en vingt ans à Paris (1993 à 2013), et cette progression continue.
La spéculation foncière serait donc la cause de cet appauvrissement. Les aménageurs accusent la rareté des terrains et demandent à l'état d'en libérer, c'est à dire d'en privatiser toujours plus, mais ils n'évoquent pas la plus-value résidentielle. La croissance du prix d'acquisition se retrouve "naturellement" dans le prix de cession et dans les loyers suivants. Ces augmentations se répercutent sur la norme locale et la gentrification accompagne la rareté.
Cette rareté permet en retour la spéculation. Celle-ci est d'autant plus favorisée qu'elle semble une prise de risque limitée, assortie d'un rendement régulier ; La spéculation sur l'emplacement permet une plus-value rapide, pour peu que l'emplacement soit valorisé.
L'espérance de la rareté s'alimente elle-même : elle est liée à la localisation et est indépendante du nombre lui-même : le seuil à partir duquel cette rareté disparaîtrait se trouve toujours plus loin, dans les limites des possibilités financières, si ces limites existent. Cette rareté est le produit d'un besoin capitaliste. Dès qu'une possibilité supplémentaire de crédit immobilier est offerte, la spéculation foncière augmente, basée sur l'idée de la sécurité de ce placement. Ainsi, une catégorie de gens pauvres sont prêts à s'apauvrir encore plus pour se garantir.
La valeur des terrains dépend principalement de leur constructibilité. Ainsi les terrains agricoles sont des enjeux de spéculation maladive, tandis que les opportunités urbaines demandent de la densification : créer un espace vert est une perte nette ... Le marché montre ainsi son incapacité à réguler le développement humain.
Les autres coûts semblent fixes et ce sont souvent ceux-là que l'on parle de réduire. Le prix de la construction n'étant qu'une partie minime du prix du marché tendu, il serait intelligent de ne pas faire d'économie sur la qualité de réalisation, surtout si cela doit renchérir les charges futures. La variation du prix de la construction correspond de plus à un accroissement des normes : on objective la qualité demandée et le logement qui en résulte n'est pas pour autant plus satisfaisant. La tentation est grande de remplacer un responsable, par exemple l'architecte, par un processus. La bureaucratisation de ces processus, banque et assurances, a elle-même un coût important, qui est proportionnel au prix d'achat.
La thèse libérale associe la cherté des logements à leur nombre insuffisant.
Plusieurs techniciens nous ont alerté sur la fausseté de ce diagnostic quantitatif : les logements qui manquent existent, mais pas au bon emplacement. Les logements seraient simplement mal répartis. C'était déjà la thèse d'Engels qui parlait de répartition sociale quand le capitalisme actuel parle de la répartition par rapport à l'efficience économique.
Mais ces alertes sont restées peu audibles face au puissant lobby de la construction, qui va des majors du bâtiments aux élus locaux. Ce lobby prépare déjà son argument suivant : la nécessité de reconstruire des logements plus écologiques, même si ce sont justement les logements récents qui le sont le moins ...
Chaque année voit donc l'objectif augmenter : 300 000, voire 500 000 logements nouveaux seraient nécessaires en France. Mais la plupart de ces logement existent déjà. Simplement, ils ne sont pas dans les métropoles ... C'est le déménagement des gens qui est programmé : la fameuse mobilité suppose le dépérissement des petites villes, après celui des campagnes.
Toutes les statistiques montrent que la taille des logements augmente, ainsi que leur nombre par rapport à la population. Ce n'est donc pas la quantité qui manque.
Répartir les logements selon l'économie peut avoir plusieurs sens : à qui l'économie sert-elle ? Il y a une différence entre le besoin individuel et celui lié au travail. On peut, notamment à propos des transports, opposer la densité et la saturation. Il est certain que la concentration est nécessaire à la spéculation. C'est le coût économique contre le coût humain. La spéculation va réaliser une répartition sociale en interdisant les quartiers centraux à ceux qui ne peuvent suivre. Là seront maintenus les services qu'une population plus aisée pourra entretenir.
Pour construire toujours plus, l'industrialisation du bâtiment a été le mot d'ordre des vingt dernières années, et on en voit le résultat : la paupérisation de l'habitat. Le logement est rabaissé au rang de marchandise, il continue sa déréalisation.
La mode des métropoles date du mirage des années 60 : New York, Tokyo ... Mais plusieurs agglomérations géantes qui se profilent sont composées pour plus de 90% de bidonvilles. Les dirigeants qui ont le culte de la métropole ne voient pas qu'elles ont changées et que maintenant, les populations les refusent. La spéculation foncière entraîne une délocalisation des activités simples et une augmentation des transports, difficilement réalisable par les transports publics, et dont le coût n'est pas répercuté sur l'immobilier.
La marchandisation du monde rend obsolète les bâtiments qui ne sont pas adaptés à sa superficialité. La capitalisation, la constitution d'un patrimoine, sont dévalués au profit d'un terme toujours plus court. Nous vivons de plus en plus dans des friches urbaines. La Science fiction et la publicité nous y habitue.
« L’urbanisme s’est en effet développé en tant que discipline moderne autour de l’idée d’une croissance urbaine prolongée, et se trouve dès lors bien souvent démunie des outils permettant de comprendre puis de gérer la décroissance urbaine. » (3) (décroissance comprise comme diminution et paupérisation ... Perspective de redéveloppement ...). La croissance apparaît donc comme la drogue du secteur de la construction, qui pousse les prix de l'habitat vers le haut.
Cette croissance s'accompagne de la spéculation foncière. S'enrichir en dormant, c'est profiter du besoin social pour le retenir. Quand les prix s'envolent, les acquéreurs sont prisonniers des banques et la location "normale" n'est plus rentable. Les plus-values de la bulle immobilière réalisées sont un bénéfice privé réalisé sur un phénomène social. La variation des localisations favorisées permet l'enrichissement sans travail de toute une catégorie sociale, justement celle qui est la plus favorisée.
Le coût du logement est ainsi le moyen silencieux de forcer la répartition sociale, et tandis que le rentiers de la centralité superposent plus-value et confort, le usagers relégué par le coût d'accès sont condamnés à des temps de transport prohibitifs.
La taxation des plus-values ne serait pas un facteur inflationniste. Elle intervient après la vente et cette taxation n'est pas un facteur de décision, tout au plus un argument, dans la mesure où le marché s'est emballé. Taxer les locations saisonnières est également nécessaire. La gentrification n'est pas une force positive, sauf à considérer les lentes améliorations apportées par la vie quotidienne. C'est un pis-aller face à l'arbitraire. C'est la fuite de ceux qui le peuvent qui vient alimenter les quartiers qui semblent rester pacifiés.
Des procédures existent pour limiter l'influence du prix des terrains. La municipalisation des terres en est une. L'accession sociale en est une autre, mais qui peut alimenter la spéculation privée. C'est pourquoi elle est complétée avec le bail réel solidaire par une séparation d'avec le foncier, qui reste public. Cependant cette séparation ne protège pas de la spéculation, comme on le voit en Grande Bretagne.
La municipalisation des terrains de construction est une solution difficile à mettre en oeuvre sans spolier les habitants. Elle est plus facile à réaliser lors d'une nouvelle installation : ZAC ou autre.
Une déconstruction de la fable du "choc d'offre" consiste simplement à constater que si le Grand Paris construit 10 fois plus de logements que Londres ou New York, le renchérissement de l'immobilier y est comparable.
(1) Les "Maisons à un Euro" sont des maisons en déshérence préemptées par la Mairie et cédées contre un engagement de réhabilitation et d'occupation.
(2) La domotique met en avant les économies de fonctionnement, mais elle rajoute le sien, qui n'est pas moindre.
(3) "Villes en décroissance" par Vincent Béal & Anaïs Collet & James DeFilippis & Richard E. Ocejo & Max Rousseau, le 27/03/2017 (Métropolitique)