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Europe : culture, civilisation et politique

L'Europe est d'abord une civilisation. Elle s'épanouie actuellement dans l'Union européenne.

L'Union européenne est sans cesse attaquée : trop puissante pour les uns, elle ne l'est pas assez pour les autres. Tous critiquent son action. On relève son manque de solidarité, mais sans accepter sur place de se plier aux règles communes. On déplore son manque de direction, mais sans se soumettre à la loi de la majorité. Un renouveau du nationalisme retrouve son rejet naturel de l'étranger. Un souverainisme facile la confond avec une simple coopération et s'imagine que les états séparés seraient plus forts.
Personne ne semble plus capable d'impulser un mouvement de cohésion. Sur la résistance à l'influence américaine, les avis sont partagés et la traîtrise est la règle. Cependant, l'impérialisme russe ne laisse pas de place à l'esquive.
A l'intérieur même, l'Allemagne est de plus en plus isolée et de moins en moins prête à reconnaître ce qu'elle doit aux autres.
Tous s'accordent pour affaiblir l'embryon de pouvoir européen. C'est ainsi que les élections du parlement européen ne font pas l'objet d'un débat européen. (1)

On fait comme s'il était facile de recréer une solidarité européenne, comme si la construction de l'union pouvait être reprise sur d'autres bases. Mais c'est oublier l'incroyable exception dans l'histoire que ce partage de souveraineté, et le miracle de sa mise en place. Il n'y a rien eu de comparable au Plan Schuman (2). Nos chers leaders appellent régulièrement à l'Union, de leur parti, de la Nation, et de l'Europe. C'est à se demander pourquoi elle ne se réalise pas. Il ne faut donc pas mésestimer les avantages de la dispersion : des opinions (la tolérance), des combattants (la souplesse), des Nations (la culture). Il y a certes des capricieux et des mafias blotties dans leurs petits coins, mais il faut aussi se battre contre cette envie de tout niveler, à commencer par la tête, comme disait André Breton.
Il n'y a pas de numéro de téléphone à l'Europe, mais ça ne la rend pas toujours plus faible. Cette faiblesse est aussi une souplesse.
La question de la souveraineté est régulièrement posée contre l'Union européenne, comme contre l'O.N.U aux Etats-unis. Mais le besoin de ces organismes leur est bien antérieur. Les échanges du monde moderne ont imposés depuis plus d'un siècle une approche fédéraliste du régalien. De multiples organismes économiques, sociaux ou politique fonctionnent par coordination verticale, mais ceci réclame une clarté et des défenseurs de la chose publique.

Il faut toujours défendre la construction européenne. Il est difficile de défendre ce qui existe déjà, et c'est la première raison de ce concert d'anti-européens. Mais l'Europe n'est pas réalisée : c'est un projet politique encore à concrétiser, projet qui a rusé avec la politique en créant des "solidarités de fait" (Robert Schuman) économiques, qui devaient permettre une collaboration politique. Trop politique pour les uns, elle est trop économique pour les autres, et parfois pour les mêmes qui ne craignent pas les contradictions.
La construction européenne est quelque chose d'extraordinaire : c'est la seule fois dans l'histoire humaine que des nations partagent une souveraineté, et de façon pacifique. Ce trésor de l'humanité doit être défendu et poursuivi, mais ce n'est pas si facile : qu'on se souvienne des efforts désespéré du siècle précédent. Nul part, il n'y a de modèle. Nul part il n'y a eu d'autre réussite. Ca a déjà été difficile à 6, comment y arriveront nous à 27 ?
On voit avec le Brexit le danger pour l'Europe d'être l'enjeu d'une politique intérieure. Ainsi de la montée des populismes.
Un des arguments de ceux-ci serait que les dirigeants européens ne seraient pas élus, mais c'est faux. Que ce soit à la Commission et à la BCE, les membres sont élus par les responsables nationaux et avec le contrôle du Parlement. Les élections ne sont pas toutes directes, et les élections indirectes ne sont pas moins démocratiques, même si la simplification des média ne les aime pas.
L'élection à plusieurs échelons est parfois préférable au suffrage direct : elle est moins dépendante du spectacle, elle est plus représentative des différentes composantes d'une société, elle met le dirigeant en prise avec ses égaux : comprenant les contradictions, elle est, fondamentalement, plus démocratique (et moins démagogique).
Rappelons-le : la Présidente de la Commission européenne a été élue par les membres du Conseil, puis par le Parlement.

Exemple : le Parlement de Strasbourg

Sur les votes de rejet : quand c'est non, c'est non. Quand une fille dit non, c'est vraiment non, et quand le résultat d'un référendum, c'est non, ce n'est pas oui. Merveille de notre politique post-moderne qui va régulièrement trahir les choix populaires, après les avoir organisé.
On va rapprocher les différents rejets de l'Europe, mais les contextes sont différents. La construction européenne aura connu, avec de nombreuses crises, trois grands refus : celui de la CED en 1954 d'abord, alliance de l'extrême gauche française (le parti communiste d'alors, dans l'opposition radicale de la guerre froide derrière Moscou) avec l'extrême droite de l'époque (les gaullistes qui voulaient le maintien de l'empire colonial), celui de 2005, sans véritable enjeu (qui sait comment fonctionne une constitution ? ), qui a réuni ceux qui ne voulaient pas de l'Europe, ceux qui ne voulaient pas de Chirac, ceux qui ne voulaient pas de Hollande, ainsi que quelques illuminés qui croyaient à un plan B (3), et celui des déçus d'aujourd'hui, avec le Brexit.
A chaque fois, il y a ambiguïté sur la forme et clarification sur le fond. Déjà, on peut éloigner d'une véritable démocratie aussi bien le positionnement des partis de la 4è république que l'expression des référendums, où les questions posées sont toujours complexes et les calculs de ceux qui les posent transparents, ce qui fait que l'on ne sait jamais si le peuple répond à l'un ou à l'autre. La force spectaculaire des référendums et des élections directes est une opportunité pour tous les démagogues. Les opposants à l'obligation d'accueil des migrants de Juncker par exemple (les "quotas") sont ceux qui refusent la mixité sociale, la parité féminine, la lutte contre les discriminations ...

La démocratie a pu se résoudre dans un vote lorsque, dans les cités grecques, une assemblée éduquée choisissait le parti d'un orateur contre un autre. Elle n'est pas présente dans un sondage, ni dans la réponse à une question que les citoyens ne se posent pas.
Sommes nous prêts à une discipline budgétaire européenne ? C'est le moment de lier l'économie et la politique, de poser les questions de l'harmonisation fiscale, budgétaire et sociale de l'eurogroupe. Les défis du moment ne laissent pas trop de marge de manoeuvre. Espérons que nous aurons les hommes capables de les résoudre, et que les média seront un peu moins caricaturaux, avec leurs pauvres et gentils grecs et leurs durs et méchants allemands. La maturité a un prix, et seuls les peuples majeurs méritent leur démocratie.

L'Union européenne s'est construit de plusieurs manières et une des dernières méthodes ne fonctionne plus : celle qui consistait à fixer des obligations et laisser les gouvernements suivants les tenir. Les référendums de 2005, 2015 et 2016 ont permis à des nationalistes de s'opposer à la supranationalité. Ils leur ont donné un tremplin et une assise qu'ils ne pouvaient espérer d'eux-même. Ce n'est pas être démocrate que de se considérer humilié par une discipline commune que l'on a accepté. Les refus actuels de solidarité qui sont visibles chez les séparatistes catalans ou flamands ne peuvent être européens. L'Europe a fait apparaître l'éloignement entre les gouvernements nationaux et leurs peuples.

Il va falloir faire le tri entre ceux qui se disent européens et ceux qui le prouvent. Les occasions, que ce soit la crise des dettes souveraines, l'écologie, la pression migratoire, les menaces terroristes ou russes, ne manquent pas. A tous ces gens, de Bruxelles ou d'ailleurs, de proposer et d'entraîner. Il ne faut pas désespérer du peuple. Et si une partie se détache, il ne faut pas chercher à la retenir à tout prix. La cohésion a sa force ; elle attire suffisamment. La démocratie européenne est d'abord dans l'explication : les dirigeants sont tous élus. En France, on méprise le suffrage indirect, mais il faut faire attention à la lecture des gens simples, qui ne sont pas pour autant bêtes. De même qu'il faut corriger sans cesse cette légende sur la vilaine bureaucratie bruxelloise. Cette antienne que les nationalistes, anglais ou autres, répètent et font répéter aux journalistes finira par faire son effet, comme l'a fait l'antisémitisme soit-disant distingué du XIXème siècle.

Après avoir prétendu que "l'Europe, c'est la paix", les média nous apprennent maintenant le contraire : La paix étant assurée par le parapluie américain, c'est elle qui a permis l'Europe. Ça parait logique. Pourtant, sans la réconciliation franco-allemande, les états européens, même dans l'Otan, serait dans les relations de rivalité que l'on voit par exemple entre la Grèce et la Turquie. L'Europe, c'est la paix, ce n'est pas seulement le constat des 70 dernières années, c'est aussi le principe de nos relations avec nos voisins : c'est la base sur laquelle s'est édifiée notre coopération. C'est peut-être la cause d'un malentendu chez ceux qui s'imaginent que le reste du monde est aussi bienveillant.

Parmi les ennemis de l'Europe, on trouve les "maximalistes", qui ne veulent d'union qu'avec le monde entier. Prendre le miracle européen, de collaboration de 2 monades aussi différentes que l'Allemagne et la France, pour une étape déjà franchie de l'humanité, c'est ne pas avoir les pieds sur terre. L'Europe repose sur une civilisation commune ; elle n'a pas mission de s'étendre à la terre entière, et doit donc affirmer sa singularité. Cette ambition est déjà au delà de celles de nombreux états qui la composent. La lente et nécessaire coordination du genre humain ne doit pas être mélangée avec la construction européenne. Si celle-ci peut être un exemple, il est important qu'elle réussisse.
L'Europe, comme la démocratie, sont des inventions incroyables, et d'ailleurs, beaucoup n'y croient pas. Si elles disparaissent, elles ne seront plus que des mythes, dont l'existence sera mise en doute. L'UE n'est que l'association des Nations européennes. Ses critiques feraient bien de ne pas l'oublier. On ne voit pas quel intérêt chacun aurait à s'isoler. L'exemple anglais n'est pas de trop, et encore ceux-ci usent leur ancien empire colonial.
Accepter les limites du projet est nécessaire à son ambition. L'Europe est située. Elle a son territoire et son histoire. On voit que des pays comme la Turquie et la Russie sont des ponts entre l'Europe et un autre monde. Il n'y a pas d'eurasie : c'est une chimère qui ne signifie que l'inexistence de l'Europe (4). Il faut admettre les frontières si l'on veut pouvoir les ouvrir.

La critique de la politique européenne est nécessaire. La "libre concurrence" ne rassemble pas un peuple, mais des consommateurs. La concurrence ne fait pas une politique et nous sommes arrivés depuis longtemps à ses limites. L'Europe sera soumise à des enjeux qui demanderont une coordination et une discipline plus intense. Si les institutions ne s'adaptent pas, l'union va connaître des moments difficiles. On en est resté à l'économie (et au marché) parce qu'on n'a pas voulu d'une Europe politique (merci De Gaulle).
La maladie de l'Europe est son morcellement. Sa survie, c'est la tendance à l'unité. Elle demande le dépassement de la concurrence.
La dérégulation du néo-libéralisme n'est pas liée à la construction europénne : elle est intervenue après le choix de l'acte unique de création de l'Euro et sans lien avec celui-ci. Portée dans les années 1980 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, elle correspond à un moment qui semble maintenant dépassé, mais qui se prolonge. Les U.S.A. qui, à l'époque de Monnet et de Marshall, soutenaient l'Europe, ont alors changés : l'Union européenne leur est apparu comme un concurrent qu'il fallait contrôler. Le Président Macron, élu en 2012 "Young Leader of the Year" remplit ce rôle.

La Commission Juncker a été un modèle de contre-emploi : Comme Vidocq qui de bandit est devenu un policier exemplaire, il semble que Jean-Claude Juncker, lui-même ancien premier ministre d'un pays en délicatesse avec la transparence fiscale, ait choisi de composer une Commission Européenne en contre-emploi. Ainsi, nous avons eu pour commissaire aux affaires économiques un ancien ministre qui a échoué à diminuer sa dette, pour commissaire au climat le fondateur de sociétés pétrolières, pour commissaire à l'éducation et à la culture un ancien ministre du gouvernement le plus autoritaire de l'Union et pour vice-présidente aux affaires étrangères quelqu'un de décoré de la Croix de l'Ordre de l'Amitié de la Russie.
Ce n'est pas la première fois dans la politique actuelle que l'on remarque le renversement entre l'image et la réalité : on ne compte plus les politiques de gauche faites par la droite, et celles de droite faites par la gauche. On pouvait penser qu'il s'agissait de trahir son électorat. Avec cette Commission, il a fallu trahir sa pente naturelle.

Il y a une culture européenne, il y a un peuple européen. Nous sommes tous des européens : nous sommes différents des Allemands ou des Italiens par exemple, mais nous partageons la même civilisation. C'est une évidence depuis le 18è siècle au moins, si ce n'est depuis le moyen-âge. Sa devise, qui n'est écrite par aucune institution, c'est la prééminence de la personne humaine. Le génie européen, c'est la diversité du commun, un mélange essentiellement culturel et non pas économique. S'y opposent les forces égoïstes de la séparation. La solidarité n'exclue pas la compétition ; elle demande simplement des règles claires.
L'Europe est d'abord une civilisation : ce qui a guidé le monde les 18 et 19 ème siècles a des racines plus anciennes, qui méritent une traduction politique. Les pays de l'est ont été marqué par l'expérience du totalitarisme et ont mission à prolonger la transmission de ce passé. Leur décalage avec les modes de l'ouest est une force, exprimée par des penseurs comme Milosz ou Kundera.
Ce n'est pas une entité géographique, mais culturelle. Elle a besoin de retrouver son âme, romaine et chrétienne, quitte pour cela à s'éloigner des Etats-Unis. L'évolution de ceux-ci et leur modèle doivent être critiqués.
Comme l'est en concentré la Suisse, l'Europe parle plusieurs langues, ce qui n'est pas contradictoire avec un sentiment collectif. L'usage de l'anglais doit, surtout maintenant que la Grande-Bretagne s'en est allée, être remis en cause. Quitte à utiliser une langue mondiale, pourquoi ne pas utiliser le français ou l'espagnol ?

Avant d'être une construction. Il s'agit plutôt d'une reconstruction. Détruite pas les deux guerres mondiales, l'Europe s'est reconstruite grâce aux U.S.A. et à l'URSS, et nous avons pu comparer. Nous ne redeviendrons grands que si nous reconnaissons ce que nous devons aux U.S.A., que nous savons pouvoir égaler. La résistance ukrainienne doit nous réveiller.
La civilisation européenne ne doit pas être mystifiée. Elle a son histoire suffisamment explicite, en bien et en mal, et c'est son désir de vérité qui doit surnager.

Depuis Charlemagne, l'Europe n'existe plus en tant que Nation et est morcelée : royaumes du Portugal, de France et d'Espagne, républiques d'Allemagne et d'Italie, plus ou moins indépendants. L'unité européenne subsiste et se réveille toutefois à travers les activités intellectuelles et essentiellement littéraires (les écrivains et les universitaires, comme les artistes, musiciens, peintres, philosophes, scientifiques etc), et la conscience d'un génie proprement européen reconnu dans le monde entier. Il serait anachronique de parler d'un nationalisme européen, mais une certaine nostalgie et fierté de la grandeur des empires se fait sentir. Les pays de l'est, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie ... ont appris avec la domination russe qu'ils pouvaient disparaître, tandis que l'Angleterre hésite toujours entre son ancien empire et sa présence à côté du continent.

Les états-nations n'ont jamais cessé de rivaliser. Les propagandes qui stigmatisent le voisin n'existent pas qu'en période de guerre. Il y a des intérêts puissants contre l'Union Européenne.
Au moment de l'agrandissement à l'est, les premiers états n'ont pas réussi à se mettre d'accord pour renforcer la coordination et, ne voulant pas la retarder, ont réalisé l'agrandissement en supposant que la constitution de 2005 serait votée. On connaît la suite.
Il y a besoin d'un récit européen qui doit se dégager de l'économie. L'Europe sans une dimension politique et militaire est condamnée à l'impuissance.
Si Schuman a pris le charbon et l'acier comme base de ce partage, c'était pour amorcer un processus plus politique, que De Gaulle a stoppé et qui n'a pas pu être repris. Sa conception d'une confédération a trouvé dans l'Allemagne dominante sa nouvelle fin.
L'Europe du 21ème siècle est condamnée à la modestie. Elle porte la responsabilité de 2 guerres mondiales et ne peut plus incarner que la paix. Pourtant, l'Europe peut être fière de son histoire et de ses apports, en se dégageant de l'utilitarisme américain et en marquant son opposition aux totalitarismes, depuis le fascisme jusqu'au déconstructivisme, totalitarismes qu'elle a elle-même inventé. Elle pourrait répondre au besoin d'un acteur international non hégémonique. Forcée d'abandonner tout impérialisme, elle voisine avec ceux-ci, russe, turque ou islamiste.
Tous les pays d'Europe ont été vaincus, et relevés. Ce que nous pouvons apporter, ce n'est plus le leadership, mais une solidité, un éclairement. Dans ce sens, nos modèles sont plutôt à chercher dans ces civilisations qui ont réussi à garder le lien entre leurs fondamentaux et l'évolution du monde, comme en Asie.

Une légende tenace veut que le parti pro-européen ait toujours été au pouvoir, que les européistes, comme on dit, aient toujours avancé vers une supranationalité toujours plus forte. Mais c'est faux : depuis la "chaise vide" de De Gaulle jusqu'aux refus de la constitution, les tenants de l'Union ont toujours été sous la tutelle des nationalistes : il n'est que de voir la tournure qu'a pris l'Union depuis les accords de Maastricht, qui placent le Conseil européen, c'est à dire une réunion confédérale, au sommet de toutes les décisions. Les institutions fédérales, comme la Commission, la Cour de justice ou la Banque centrale, sont sous la pression d'arènes d'oppositions nationalistes, comme le Conseil ou, dans une moindre mesure mais selon les modalités de son élection, le Parlement. La revendication de souveraineté que l'on oppose parfois à l'Europe est dirigée contre le Capitalisme, qui trouve là un paravent. Pour partager une souveraineté, ce qui est le projet européen, il faut déjà en disposer ...
Le principe de primauté n’a été ni consenti ni ratifié par les peuples européens, il n’est pas revêtu d’une onction démocratique indiscutable. Présenté au suffrage une seule fois en 2005, il a été rejeté. Il repose sur une faute politique lourde, celle de ne pas avoir reçu la sacralisation démocratique dont il avait besoin. Le principe de primauté du droit européen se comprend en tant qu’il est une condition nécessaire à l’intégration européenne: il garantit une application effective et uniforme du droit européen partout au sein de l’Union. Il n’est cependant pas un absolu et son questionnement ne saurait trop facilement être considéré comme un “fantasme nationalisme ou cocardier”. N’en déplaise à certains, le respect de l’état de droit ne se confond pas avec la surenchère sur le droit des minorités mais doit permettre de garantir le fondement même de la démocratie, la souveraineté nationale et les principes inscrits dans les traités, notamment celui figurant à l’article 4 du traité sur l’Union européenne qui impose à l’Union de respecter l’identité nationale des états "inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles". Le fonctionnement de l'Union est régi par le principe de subsidiarité, qui veut que chaque décision soit prise au niveau approprié. L'Union Européenne a pour mission de dégager l'intérêt commun, mission impossible pour les coopérations intergouvernementales dans lesquelles les intérêts nationaux s'expriment et s'opposent.
Les défis actuels, comme la démondialisation, qui va demander une relocalisation des activités et une protection douanière, ou comme la gestion de l'immigration, qui remet en cause les accords de Dublin, ne peuvent être résolus par chaque Nation.

L'Europe attend une nouvelle vague d'union, après celle du XXème siècle. Il faudra rappeler la séparation entre la politique européenne, menée par le Conseil européen, c'est à dire l'unanimité des chefs de gouvernements, et la Construction européenne, unique exemple dans l'histoire de l'humanité d'une communauté supranationale qui s'édifie dans la paix. S'il n'y a pas de volonté de compromis "historique", les faits se chargeront d'obliger à la coopération. Encore faudrait-t-il que les média relaient les initiatives étrangères : qui connaît en France les propositions des autres pays ?
L'unanimité donne une prime au "vilain petit canard", à celui qui bloque. La persuasion a ses limites. A tout le moins, il faudrait remplacer cette règle par l'unanimité moins une voix, ce qui changerait complètement les choses. Ainsi, un gouvernement pourrait se mettre à part de l'Union, et apparaître comme tel. Cela introduisait une dynamique politique et obligerait à clarification.

Sur le modèle de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, qui avait bien fonctionné, ne pourrait-on pas mutualiser entre quelques états les dispositifs qui ont "naturellement" tendance à dépasser le cadre national, ainsi par exemple les douanes, la sécurité d'internet, l'organisation de la pêche, des contrôleurs aériens ou les compagnies de chemin de fer ?
Sur le modèle d'Ariane, ne pourrait-on pas lancer un laboratoire de création d'outils libres et publics de communication, remplaçant android, google ou facebook ?
L'Union a besoin de ressources propres. On a suggéré d'instituer une taxe sur les mouvements financiers, dite "taxe Tobin". Cette taxe, qui devrait rester infinitésimale pour tout un chacun, permettrait de limiter le trading à haute vitesse, dont on connaît les défauts.
Parce que la solidarité s'exerce mieux si elle s'exerce sur une population plus vaste, il serait judicieux de partager nos assurances et notre sécurité sociale avec les autres pays européens qui seraient d'accord. Il y a une nécessité de l'échelle européenne.
L'idée de devenir tous semblables, rêve ou cauchemar absurde, a fait trop de dégât et s'éloigne heureusement. Maintenant, il faut mener ensemble des projets communs, quitte à ce qu'ils ne concernent que quelques pays, quitte par exemple à ce qu'ils se fassent sans l'Allemagne ou sans la France ...

Si les dirigeants se sont si souvent montré "hors sol", la guerre risque de leur imposer sa discipline. Si les U.S.A. ont été si souvent un concurrent, il ne faudrait pas que ces dirigeants oublient que leur alliance est indispensable et que la reconstruction démocratique de 1945/1955 s'est faite grâce à eux. Si l'Europe a parlé avec le monde entier, c'est avec eux que nous cheminons.



(1) Texte d'une pétition pour que les élections européennes soient vraiment européennes (2019) :
"La construction européenne, c'est le partage d'un espace de discussion et de solidarité. Si ce partage n'est pas parfait, c'est qu'il reste à renforcer.
L'élection du Parlement Européen est la seule élection directe des institutions européennes. Elle est la garante de la démocratie. D'un côté, certains critiquent l'Europe pour sa faiblesse démocratique. D'un autre côté, pour sa faiblesse de décision. C'est pour corriger cela qu'il faut renforcer l'Assemblée.
La démocratie parlementaire parie sur la discussion et l'examen collectif des décisions. Elle a été critiquée au XXè siècle par les diverses dictatures, mais elle a fait la preuve de son intelligence. Il y a peut-être un meilleur gouvernement, mais on n'a pas trouvé lequel.
Les élections du Parlement sont organisées par chaque état, selon son choix. Il en ressort qu'elles sont en général l'occasion d'un débat intérieur, voire d'une tribune nationaliste.
Ceci ne favorise ni le travail du Parlement, ni son autorité.
Nous demandons donc aux média d'organiser des débats européens autour de cette élection, de montrer les tendances et résultats au niveau européen
Nous demandons aux candidats de préciser quelle Europe ils veulent pour demain et dans quel groupe du Parlement ils vont siéger
Nous demandons aux états de se concerter autant que possible pour organiser conjointement ces élections, et de présenter les enjeux européens
Ce ne sont pas ceux-ci qui manquent : les questions des migrants, de l'écologie, de la sécurité, de la solidarité ... voire même les attaques de Trump ou Poutine."



(2) On ne doit pas laisser subsister les thèses complotistes d'un Philippe de Villiers, selon lesquelles ce plan aurait été écrit pas les américains (en l'occurrence Dean Acheson). Il est facile d'en consulter les archives à la Fondation pour l'Europe de Lausanne.
Il est dommage qu'un philosophe comme Michel Onfray se soit laissé prendre par les calomnies intéressées contre la construction européenne. Rétablissons ici quelques vérités :
Monnet n'a pas été un agent américain, mais un négociant introduit sur les marchés anglais et américain. Devenu banquier, il n'a pas blanchi de l'argent nazi, mais a organisé la coordination des efforts de guerre alliés ;
Schuman est né dans l'empire allemand et a été mobilisé comme tel en 1914. Il avait été réformé en 1908 et a été versé dans les bureaux. Il a en effet espéré dans la réussite des accords de Munich et a voté les pleins pouvoirs pour Pétain ; il a été nommé sans le demander dans les premier gouvernement de celui-ci mais a refusé immédiatement d'y participer ;
le plan Marshall a été un effort de solidarité qui a coûté très cher aux Américains en leur donnant une position dominante, que personne ne pouvait contester.



(3) Contrairement à ce que disent les média, Sarkozy n'a pas annulé le référendum français sur la constitution européenne (hélas). Remarquons d'abord que si l'Europe était une démocratie, cette constitution serait appliquée, puisqu'une large majorité d'européens l'avait adopté. N'appliquerait-on pas en France une loi parce que les Corses la refusent (... bien que ...). Ensuite, il y a de grandes différences entre le traité de Lisbonne et la constitution qui était proposée : il n'y a plus de droits de l'homme européens et il n'y a plus de direction politique européenne. On en est revenu à la présidence tournante et aux accords unanimes du Conseil européen, au cas par cas et pays par pays. Ce sont de grosses différences, cachées par les nationalistes, et il faudrait que ceux qui ont refusé la constitution sous prétexte qu'il faudrait plus d'Europe s'en souviennent. Il est facile de dénigrer l'absence de l'Europe face aux défis écologiques, politiques ou sécuritaires, mais cette absence a été voulue. Officiellement, tous ces "euro-sceptiques" sont pour l'Europe, pour une collaboration entre les pays d'Europe, pour une coordination et une solidarité, mais en fait ils refusent toute décision qui s'opposerait à leur clan. Et ils ont la critique facile contre une entité qui ne peut pas se défendre. De l'autre côté, parmi les "européistes" se trouvent beaucoup d'opportunistes qui ne font que suivre le courant, quitte à l'assécher, comme Laurent Fabius ou même Macron. Les souverainistes brandissent le rejet de ce référendum comme un rejet de l'Europe, mais cette interprétation est tendancieuse : elle confond les voix d'une multitude qui n'a pas eu d'autre expression ; elle mélange refus de l'existence de l'Union, de sa politique et de son état. Enfin, elle suppose une discipline là où il n'y eut que négation.



(4) "L'Europe de l'atlantique à l'Oural" n'a été qu'une bêtise intéressée lancée par De Gaulle contre les Américains. L'Europe actuelle s'est construite contre la Russie, et doit sa libération aux U.S.A., ce que le Général n'a jamais voulu admettre. Le mythe d'une "troisième voie" a servi à faire croire à la grandeur de la France, mais cette grandeur nécessite une modestie qui lui était inconnue.