Opposant le prolétaire au capitaliste, le communisme s'est voulu un combat. Cette lutte s'est généralisée à tout ce qui lui était extérieur et il a fini par se replier sur la nation. Jusqu'à rejoindre le National-socialisme ?
Hitler et le Nazisme représentent pratiquement le mal absolu. Il faut leur reconnaître cette utilité. Il y a la volonté, décrite dans "Mein Kampf", de placer l'essence germanique (1) comme principe. Il y a ensuite, dans la construction de l'état National-Socialiste, celle d'instrumentaliser l'homme.
Il y eu là une construction savante du mal, ordonnée et consciencieuse, qui en fait l'illustration de la malfaisance.
C'est le fameux "point Godwin" qui clôt toute discussion.
Mais il y a eu d'autres malédictions. On a bien fait de comparer le nazisme et le communisme, qui ont de nombreux points communs (2). Le communisme a fait actuellement trois fois plus de victimes à partir d'une idéologie généreuse, ce qui pose la question de l'hypocrisie, et plus généralement, de la place de la morale dans l'histoire.
L'histoire humaine est riche en abominations et ces régimes ont modernisés celles-ci. Cependant, ces deux systèmes sont sur des plans différents. S'il s'agit de parasites de l'histoire humaine, l'un est un prédateur quand l'autre est un charognard.
Chronologiquement, les racines du totalitarisme du 20ème siècle sont sans doute à rechercher dans l'économie de guerre allemande. C'est le général Ludendorff qui parle le premier d'une "guerre totale". L'autarcie forcée a permis à l'armée allemande de diriger l'économie d'une façon nouvelle, que Lenine puis Ataturk n'ont pas oublié. Cette militarisation de la société sera le trait commun de tous ces régimes. La communauté de l'armée sera le modèle de la camaraderie. La force est justification, déjà chez Marx.
Le modernisme et sa page blanche, comme le futurisme de Marinetti ont également servis à leurs justifications d'éradication de "l'autre". Un retour de la sauvagerie s'est trouvé favorisé par cette volonté de "table rase". Le scientisme méprise l'expérience populaire (3).
Cette victoire de l'état sur la société se manifeste par un rationalisme procédurier qui remplace le droit traditionnel et sa jurisprudence démocratique. L'abêtissement de la population devient possible.
Plusieurs anciens défenseurs du communisme refusent l'analogie entre nazisme et communisme, comme si le pacte germano-soviétique n'avait été qu'un accident. Pourtant, cette analogie existe. D'abord dans leur généalogie : tous deux dérivent du socialisme et de la guerre de 1914-1918. Le premier modèle est bien sûr le modèle léniniste, qui sera copié par Hitler (4). Ensuite, on retrouve dans le contrôle sur la population les mêmes fonctionnements : enrôlement des jeunes, regroupements autour de l'idéologie dans le travail, police politique déniant à l'individu une existence autonome, police spéciale militaire à usage intérieur (GEPEOU et GESTAPO), désordre organisé et concurrence opaque entre services. (5)
Il ne faut pas sous-estimer les influences des totalitarismes du 20è siècle sur les autres régimes, ni le besoin et la technique qui les a permis. Tout ceci continue.
Le refus de l'altérité, c'est le principal ressort de ce besoin de tutorat, qui est à la base des dictatures.
L'état russe, qui s'est débarrassé du communisme, reste nostalgique de ce contrôle et s'appuie sur un panslavisme orthodoxe. L’écrivain anarchiste Edouard Limonov et l’intellectuel chantre de l’eurasisme Alexandre Dougine ont développé une idéologie "national-bolchévique" opposée à la démocratie et au libéralisme. Il ne s'agit que de reprendre l'appel au patriotisme qui avait sauvé Staline en 1941.
Privé de leur idéologie de libération par l'usure de leur déni de réalité, champions des inégalités sociales, les Partis communistes ont dû justifier leur domination : ils ont abandonné leur discours universaliste pour une rhétorique nationaliste. L'humanité qui avait été si visiblement trahie a cédée la place à la communauté. Contrôlant l'état, ils ont repris l'analogie entre celui-ci et la Nation. Pour le totalitarisme, l'individu n'est rien, le "peuple" est tout. C'est cette notion de "peuple" qui passe du prolétariat à la Nation.
La Chine est à l'heure actuelle la meilleure représentante de ce courant. Certains traits sont particulier à sa civilisation, mais d'autres, et en particulier l'impérialisme, se développent en revanche en opposition à son passé. La séparation entre le Parti et la société est le défaut principal institué par ces régimes. Dans leur recentrement autour de la particularité, c'est l'alliance entre le Parti, l'armée et la police qui définit cet état.
Le totalitarisme, mis en lumière par Hannah Arendt, est dans ces régime le soumission totale de chacun à la direction générale.
Une lecture simpliste de Marx a placé l'économie au service des bureaucrates du Parti. Ceux-ci ont formé une classe dominante dont l'idéologie s'est réfugiée dans la Nation. Contrairement aux souhaits occidentaux, l'enrichissement économique n'amène pas la démocratie : le sentiment national est plus fort et plus suivi que ce désir de liberté.
Cette domination a pris en Chine un tournant particulier, en distinguant les individus d'après leur naissance. Elle a rejoint là le régime nazi.
La condamnation du nazisme devient d'ailleurs un marqueur de l'influence occidentale. Pour les anciennes colonies de l'URSS ou de l'Occident, le régime de Hitler n'a pas cette image d'enfer que nous lui attribuons, ou en tout cas, ne l'a pas tout seul. Ainsi, la Chine peut sembler à une vaste partie du monde un modèle de société fondée sur l’autorité, l’efficacité et la prospérité, apparentes en tout cas et opposées au spectacle des contradictions que l'Occident affiche.
Il y a eu un malentendu sur le soutien des capitalistes au nazisme. Dans les années 1930, les capitalistes allemands ont soutenu tout ce qui leur semblait une alternative au communisme. L'histoire de la défaite de Von Papen montre bien qu'ils ont été débordés. S'ils ont trouvé dans la préparation de la guerre de grandes opportunités de profit, ils ont dû se plier aux ordres idéologiques.
Ce capitalisme sous tutelle est maintenant expérimenté en Chine, où les dirigeants des entreprises sont régulièrement obligés de rendre des comptes au Parti, en échange de leurs marchés. Le Parti défend un capitalisme national.
Le Parti Communiste chinois bénéficie d'une technique largement améliorée de la direction des masses, comme de la contrainte individuelle. Il a perfectionné la domination de la bureaucratie, même sur les capitalistes en planifiant l'économie. Dans l'idéologie de la croissance, le pays s'éloigne de la philosophie de l'équilibre et de l'harmonie de sa civilisation.
Le Parti est devenu une oligarchie qui se veut rationnelle; en s'appuyant sur une lecture "opportuniste" du marxisme, comprise comme la condition du développement.
L'impérialisme est également une sorte d'obligation pour ces régimes basés sur le contrôle de la population. L'existence d'un ennemi et la perpétuation de la mobilisation les amènent à valoriser la guerre et, plus encore, la conquête. Le nationalisme est alors naturel.
S'ils manquent d'efficacité, ils le compensent par leur durée et leur mépris de l'histoire : il leur suffit d'être forts avec les faibles et faibles avec les forts pour se répandre.
Le langage est un enjeu, qu'ils n'hésitent jamais à modeler. La propagande d'état est forte. Pour Erdogan ou pour Poutine, la religion ou le communisme sont des références devenues purement idéologiques.
S'ils contrôlent assez bien l'expression publique, ils se rendent en même temps d'autant plus aveugles. C'est le dilemme qu'avait rencontré Gorbatchev.
Pour rester au pouvoir, ils se sont radicalisés contre une évolution à la Perestroika. Ils se sont découverts Nationaux-communistes.
(1) La critique du nazisme doit s'étendre à toutes les dominations qui se font au nom d'une essence particulière
(2) L'état hégélien violent, le contrôle de la population et sa volonté d'être total par exemple (Voir la critique de l'état totalitaire par Hanna Arendt)
(3) "Le chrétien sait qu’il croit, alors que Lénine croit qu’il sait." (Alain Besançon)
(4) De nombreux communistes comme Goebbels passeront chez les nazis
(5) Par opposition aux anciennes dictatures, en général basée sur "la loi et l'ordre", ces régimes joueront d'un désordre permanent.