Le basculement des années 80
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Le recentrage des années 80

C'est d'abord le dégagement de l'influence de 1968, la fin du messianisme révolutionnaire. C'est le début de ce qu'on appellera le post-modernisme, précédemment attendu comme l'ère post-industrielle. (1)

Les années 1980 restent une référence pour leur ambiance et leur musique. Ces créations sont le signe d'un changement d'époque. C'est l'âge d'or de l'individualisme et l'explosion de la finance spéculative qui laisse de côté les "babas cools". Ce sera le début de l'ère de la mondialisation (comme division mondiale du travail) et du néo-libéralisme (qui s'oppose au libéralisme civil).

Le fait significatif : le basculement des chinois à l'économie de marché.

Cette décennie s'appuie sur la déception de la politique. La victoire de Mitterand en France est un contre-temps : l'achèvement d'un mouvement, la récupération de 68. De la perspective ouverte par celui-ci ne reste que l'hédonisme.
Reagan et Tatcher installeront le néo-libéralisme comme remède à la décadence occidentale : ce sera un réalisme déconstructeur de l'état providence, que l'on estime avoir échoué. Ce que l'on va appeler le "capitalisme liquide" est aussi le succès tardif du structuralisme : l'histoire ne sert à rien. (2).
Annoncé par Jean Baudrillard la décennie précédente, le concept de société de consommation trouve sa réalisation. Le consommateur, dont l'avocat américain Ralf Nader vante le pouvoir, remplace le citoyen.

Les "régimes du discours", c'est le retour de "l'art pour l'art" : l'évacuation du sujet au profit du subjectivisme (un groupe d'artiste s'appelle "en avant comme avant") et l'influence d'Heidegger : Plans d'immanence, rupture épistémologique contre les produits de la science (qui est considérée comme un discours). L'inconscient est structuré comme un langage (dans les familles) et préexiste à l'expérience. Foucault, Deleuze, Lacan, Lévi-Strauss ne font pas système, sauf contre eux. Au mieux, ils utilisent une méthode issue de la linguistique : l'importance des commentaires. Les intellectuels prônent le soucis des marges (criminels, fous, pédophiles, marginaux, homosexuels, hermaphrodites, immigrés, prisonniers) et l'éviction du centre, mais paradoxalement, à cette époque l'opinion se recentre. Narcissisme du subjectivisme et sociologie critique des habitus de Bourdieu : les intellectuels se séparent du peuple et, sous un habit gauchiste, préparent le retour de l'essentialisme (on redécouvrira par la suite qu'Heidegger était nazi).

En quelque sorte, c'est le "plateau" de l'abondance, le sommet des trente glorieuses, la fin de soirée entre la crise énergétique et sa généralisation.

La dérégulation sera portée par les gouvernements en même temps que le début de la déconstruction par les intellectuels de gauche ... Caprices de l'anthropocène ?
Ce néo-libéralisme fait suite à la crise de 73/68. Il entérine la disparition du prolétariat en Occident et l'usure des anciennes autorités. Sans surprise, une nouvelle criminalité va se cristalliser autour des "traders" (délit d'initié et cocaïne).
Fin de l'état-providence, fin de la croissance, critique du trop gros, trop lourd ("small is beautifull, big is sick") et de la bureaucratie (à l'ouest comme à l'est). Les français sont pris à contre-pied. Mitterand prétend que la crise est une invention des capitalistes. On responsabilise les individus plutôt que les dirigeants : c'est le management et le début du développement personnel.

Ce renversement se montre également dans la culture, avec un changement de trajectoire : le rock ou la gauche sont ennuyeux. C'est le moment du Disco et de la série "Dallas". La rupture anthropologique des années 60 est définitivement actée : l'américanisation est officielle et le vieux monde est enterré. Silvio Berlusconi trace la voie : L'argent est beau et les chaînes de télévisions sont libres, c'est-à-dire privées.
La pop avait trop d'ambition, trop de lyrisme. La Disco s'adresse au corps et remplace le message par la distraction. Le Rock and Roll se survit dans la "décadence". Commence un retrait de la vie commune, avec le Cocoonig, le walkman - et en général une fuite devant la responsabilité.

C'est aussi l'éradication des ouvriers qualifiés, remplacés par des procédures qualité, des importations et des manoeuvres formés rapidement. Le monde paysan, les chasseurs ou les pêcheurs sont devenus invisibles. Les entreprises vont passer sous la direction des "cost-killers". La mondialisation va résoudre la contestation populaire d'après 68.

La technologie ne s'est pas arrêtée et dans le cadre du spectaculaire intégré "tout ce qu'on peut faire doit être fait" (Debord - commentaires). C'est le Minitel et les premiers PC contre Apple. On verra même des ordinateurs sans disque dur, simples terminaux, qui sont venu trop tôt (précurseurs des Chromebooks). Début des "geeks". Première numérisation et premières contestations écologiques d'ampleur, principalement sur le nucléaire.


Point spécial sur mars 1983 en France : "le tournant de la rigueur"

Il faut partir des faits et des témoignages et non des reconstitutions.
Ainsi des témoignages de Delors, des communistes et de la presse : il n'y a aucun doute sur l'échec économique de la tentative précédente. Catastrophe économique, commerce extérieur négatif, fuite des capitaux, inflation, dévaluation ... Les réserves d'or disparaissent.
Le premier ministre Pierre Maurois refuse la coupure avec le Système monétaire européen : "je ne sait pas patiner sur la glace". Mitterand choisi de ne pas couper avec l'Allemagne.
On retiendra l'accord avec Tatcher et le deal avec Delors : l'opposition entre le marché dérégulé et l'acte unique. Cette mondialisation inaugure une division mondiale du travail, qui est discutée, mais dont on ne verra le résultat que par la suite, avec par exemple la désindustrialisation.
Il faut se replacer dans le contexte du contrôle de l'économie par la finance et, plus généralement, la question de la gouvernance et de son critère. C'est la fin d'une période (le welfare state), achevée par la critique de la bureaucratie. Ainsi, ce contretemps français (Marcel Gauchet) peut-il être compris comme une trahison (Michel Onfray). Mais ce serait à tort que ce dernier imputerait aux accords de Maastricht la dérégulation, alors que ces accords, qui vont fonder la monnaie unique, sont peut-être le dernier effort de gouvernement de l'économie.
La critique semble entièrement porter sur 1983 et le tournant "libéral" pris par le gouvernement Mitterand. Refuser la loi des marchés est sans doute un début, mais semble un peu court si l'on ne comprend pas la faillite du système des prix dirigés qui précédait.


(1) on traitera le post-modernisme à part


(2) voir "Qu'est ce que le structuralisme" 1969 - "Ouvrage ... réalisé sous la direction de François Wahl."