Nous considérons maintenant que la ville est nécessairement liée à une concentration des transports. Elle suppose une densité et des parcours.
La relative liberté de ceux-ci caractérise une civilisation. La circulation des hommes et des idées trouve sa limite dans la guerre.
Le pouvoir moderne de la ville s'est installé dans les bourgs et les cités du Moyen-âge, puis dans les villes-gares, les métropoles. La mobilité a rendue sensible l'altérité qui était autrefois clairement exprimée par des murailles. L'injonction de la mobilité s'impose même à l'état. Il n'est pas certain que les piétonisations et écoquartiers aient une quelconque viabilité, autre que celle d'être des zones résidentielles sur le modèle de Disneyland. Ainsi l'utopie parisienne
Les équipes municipales ont rarement le temps d'avoir un projet de ville cohérent, même si la loi prétend les y obliger. Elles suivent les modes, tantôt pour les espaces verts, tantôt pour la densité, tantôt pour l'automobile, tantôt contre, mais toujours avec un temps de retard. Maintenant, elles sont en train de se rendre compte que la chasse à la voiture tue leurs centre-villes. Voyez l'exode urbain
Le remplacement des bus par des trams correspond au besoin de s'appuyer sur des choix indiscutables dans la gestion quotidienne des Mairies. En l'occurrence, ce sont les rails. On sait que la performance de ces transports ne dépend pas d'eux, mais du site propre. Le tram serait donc réellement une régression, non pas technique, mais administrative : un signe de faiblesse. C'est qu'une vision prospective des transports collectifs est souvent inexistante.
Quiconque analyse les déplacement urbains en vient à parler de flux. Traiter les personnes comme des usagers dénie l'individualisme qui est à la base de la réussite des villes. Certains transports en communs relèvent plus de la punition que de l'usage : ils peuvent se comprendre comme des marqueurs dans la lutte des classes. Un premier pas vers la qualité de ces transports serait de reconnaître qu'ils font partie des services nécessaires à la ville et qu'ils doivent être gratuits et agréables.
Parmi tous les pauvres de cette société, les usagers des transports parisiens, et surtout du RER sont sans doute les plus représentatifs de la misère moderne. Ce sont les supports principaux de l’activité à forte plus-value de la France. En effet, avec les esclaves du monde agricole et les techniciens postés des usines d’armement, ce sont eux qui permettent ces rendements. Et ces gens sont l’objet du plus puissant mépris qui soit : soumis en permanence à des injonctions vaines et inconséquentes, maltraités sans aucun ménagement, traités comme un flux de choses.
Est-ce la marque de leur insignifiance ? On sait que ce ne sont pas eux qui se révoltent ; qu’ils ne mettent pas le feu à des poubelles et ne sont pas armés ; qu’ils n’ont aucun moyens de se faire respecter car ils se surveillent entre eux. En majorité d’origine étrangère à la mégalopole, ils n’ont en commun que leur nécessité d'y travailler. Ne formant pas société, ils n’ont pas de solidarité et sont comme une masse malléable à merci, sous la surveillance de caméras et de l’autorité de régulation du trafic.
De temps en temps, une grève les utilise comme moyen de pression, ce qu'ils acceptent plus ou moins, conscient de leur impuissance.
On retrouve la même soumission à des injonctions régulières dans les centres commerciaux, à l'usage de la même population, et dans le mouvement de son attachement à l'argent.
Cette plèbe mobilisée n'est plus que l'ombre de la cité. Les citoyens inventeurs de la démocratie ont laissé place à des individus sous addiction qui ne connaissent que la violence qu'ils subissent.
Par nature, la ville est mobile. Mobilité interne avec ses déplacement de population et mobilité externe par les échanges avec le reste du monde. La forme de la ville est donc changeante et est recréée périodiquement, en fonction de l'évolution des peuplements, des modes de vie et des moyens de transport. La stabilité est en même temps désirée et bousculée ("La forme d'une ville change, hélas, plus vite que le coeur d'un mortel" Beaudelaire). Anticiper les saturations et les éviter demande parfois du courage politique. Le changement est souvent douloureux. Certains changements, surtout sur les transports, sont très visibles tandis que d'autres, sur les proximités ou la densité sont plus discrets, mais non moins perturbants. De même, reconnaître l'héritage du passé, le respecter et le transmettre demande une modestie assez rare.
La mégalopole est la création d'un état despotique, comme les premières cités étaient le siège des grands empires. On a pu relever que la livraison de Brasilia a été contemporaine de la dictature militaire.
La métropole suppose un territoire qui la sert, une colonie. La gentrification des banlieues est le dernier geste de cette colonisation.
En même temps, l'asphyxie de la mégapole fait la publicité de la ville moyenne et s'attaque à la culture européenne de la centralité. Voir les banlieues américaines
La ville est le théâtre de l'altérité. La ville actuelle est mondiale. Ce croisement est une violence, et suppose un niveau d'agressivité. Il n'y a pas de ville sans criminalité, mais les criminalités sont différentes. Les édiles feraient bien de s'occuper de cette différence. Notre époque est celle d'un déplacement de population sans précédent vers les villes. Une explosion urbaine s'annonce.
La ville doit ainsi devenir "durable" et rester désirable. L'urbanisme doit concilier chaque facteur urbain dans une perspective totale, celle de la vie même.
Le zonage, les centres commerciaux, les cinémas multiplexes, les parcs de loisirs, tous ces lieux spécialisés sont les ennemis de la ville, tout comme l'individualisme du numérique. La mixité urbaine n'est pas réalisée par le logement social, mais elle pourrait l'être par un décloisonnement des zones monofonctionnelles : villes balnéaires, zones d'activité. Il faut partir de ce qui marche et l'améliorer en soignant ce qui ne marche pas. L'époque de la croissance a encore des leçons à nous donner : ce n'est pas de la continuer, mais de la compléter. Ensuite, il faudra filtrer les nouveaux arrivants et obliger à la politesse. Parfois, certains centres anciens possèdent encore quelques boutiques de proximité : mercerie, librairie, poissonnerie ou fromagerie, mais elles sont vite remplacées par des fast-food ou des agences bancaires ... "Derrière le beau nom de Projet Urbain on trouve bien souvent des opérations où ni le projet ni l'urbain ne trouvent leur place, où le découpage purement foncier est la règle et le rapport au territoire l'exception ; on lotit au bord de la Seine comme on le fait au bord du boulevard périphérique, dans une remarquable indifférence à ce qui pourrait fonder une véritable différenciation des espaces extérieurs par la confrontation avec le territoire." Olivier Gahinet : L'urbanisme du capitalisme est une pensée de la ville où il n'y a plus ni dessein ni dessin.
La ville du futur est un chantier considérable, et qui pose d'abord la question de sa population. Voyez l'étude du Sénat
L'urbanisme prétend au temps long, mais pour lui, le long terme est la fiction qui permet son autorité sur les contraintes du présent. On voit ainsi que les écoquartiers à la mode reproduisent les choix urbanistiques des "grands ensembles" d'après guerre, qu'il faut dans le même temps déconstruire. (utopies, montages complexes, éléments communs à gérer, circulation contrainte ...)
Quand la ville fait mal, quand l'urbanisme est mis en question, dans ces cités de la misère et de la peur, la tentation de la faiblesse politique est de modifier l'objet. La rénovation urbaine distribue ainsi des milliards pour démolir barres et tour, parce que c'est plus facile que de s'occuper des populations "à problème". Voyez la critique de Philippe Genestier